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Critique de jazzman


De fer et d'acier commence en 1915 alors que Varsovie tombe aux mains des Allemands. Cela faisait plus d'un siècle que cette partie de la Pologne était sous administration russe. On se rappelle que Pinhas Menahem, le père d'Israël, aurait du passer un examen en langue russe pour pouvoir exercer officiellement en tant que rabin, ce que son fils relate dans son autobiographie Un monde qui n'est plus. Comme l'explique Monique Charbonel-Grinhaus, traductricte d'Israël Singer, en plus de sa propre langue, presque tout le monde en Pologne est en mesure de saisir le sens des paroles des locuteurs des autres groupes linguistiques présents. Ces communautés culturelo-linguistiques sont les Polonais, les Russes et les Juifs et c'est bien elles qu'Israël Singer choisit de mettre en scène dans ce livre paru à Varsovie en 1927. Pourquoi Israël Singer ne s'en est-il pas tenu à un roman documentaire, simple chronique de la vie juive de ce début de XXème siècle ? C'est incontestablement parce qu'il nourrit très tôt un profond scepticisme vis-à-vis de la vie juive du shtetl où tout geste de la vie quotidienne est dictée par les préceptes de la Torah et du Talmud. Lorsque Pinhas Menahem s'installe avec sa famille à Varsovie pour devenir rabin de la rue Krochmalna, Israël se met à fréquenter les bibliothèques, apprend l'allemand et le russe et … finit par s'éloigner du carcan religieux. Il ne marchera donc pas dans les traces de son père mais sera journaliste de presse, d'abord pour le journal yiddishophone Die Nye Tsayt ( Temps nouveaux) puis pour le quotidien également yiddishophone Forwerts (En avant) en tant que correspondant de presse pour la Pologne, la Galicie, l'europe centrale et orientale.De fer et d'acier est indubitablement le résultat littéraire des observations et réflexions du jeune journaliste sur un terrain en plein bouleversements politique, social et sociétal. 1915 : Benyomen Lerner, jeune soldat de l'armée russe, déserte le front et retourne à Varsovie. Recherché par les autorités, il fait un bref passage à Borovké òu il retrouve son oncle Borekh Josef, personnage peu amène et ombrageux, et sa cousine Gnendel qui est depuis toujours amoureuse de lui. le récit apporte peu de preuves concrètes d'une éventuelle réciprocité ! Orphelin très jeune, peu religieux, plutôt aventurier, Benyomen donne l'impression d'un électron libre dépouvu de Dieu comme de maître… Sans vraiment d'attache, rien ne le retient donc de tout quitter pour « voir du pays ». le premier conflit mondial apporte son lot de misères : pénurie de nourriture et de logement, inflation, travail mal rémunéré… Benyomen trouve du travail à la reconstruction du pont de Praga à Varsovie. Polonais, Russes et Juifs s'y cotoient dans un univers sordide : travail physique harassant et sous payé, repas frugaux associés à de fréquents rationnements, absence de jounées de congés, non respect des fêtes chomées chrétiennes comme juives, promiscuité, saleté, abus de pouvoir du chef allemand Meyer… Pourtant, malgré cette insupportable misère commune, les trois communautés rivalisent de jalousies, moqueries et coups bas et quand « le bon moment » pour se révolter arrive, Lerner et son camarade La Peau de mouton ne parviennent pas à mobiliser la masse opprimée et tout projet de rébellion est aussitôt abandonné ! Même le docteur Grigori Davidovitch Herzt, révolutionnaire convaincu mais assailli par le doute a perdu toute illusion… Cette masse opprimée se trouve-t'elle finalement satisfaite d'être dirigée et de n'avoir à prendre aucune initiative ? « Il savait fort bien qu'il suffisait de peu de choses pour tenir en main la masse des malades de l'hôpital. Il mourait d'envie de bondir et de crier à tue-tête, comme il l'avait entendu à la caserne : « Debout, fils de chiens ! » s'exclame Benyomen. Plus tard, il croise le chemin d'Aaron Lvovitch, vieille connaissance du service militaire. Juif idéaliste installé dans l'Ober-Ost, territoires de l'est repris sur la Russie par l'Allemagne et placés sous commandement spécial de 1915 à 1918, il décide avec l'aide de Benyomen et Gnendel d'y aider quelques-uns des 600 000 Juifs qui y résident : Juifs «  en guenilles, pieds nus, soumis et abattus ». Mais pas plus que les autres les masses juives ne comprennent que la liberté passe par l'engagement et l'implication de l'individu. Mais pour cela il faut du courage, un courage qui fait cruellement défaut à ces hordes habituées à être commandées. N'est-il en effet pas plus facile de rester tranquillement dans cette médiocrité plutôt que de tenter par tous les moyens d'échapper au déterminisme ? « Moi, c'est votre bien que je veux et vous, vous faîtes opposition. » de plus la masse se défie de ceux qui lui veulent du bien : « Vous nous prenez pour des pigeons ! » La tentation est grande de profiter sans rien donner en échange, d'autant que la masse juive en particulier n'a aucune habitude de l'action … Alors, la masse étant acoutumée à force, c'est à la force que les trois amis ont recours pour la mobiliser à la mise en place d'un espace juif autonome protégé et surtout qui ne doit rien aux Goyim : « On doit tout faire nous-mêmes » déclare Lvovitch. Séparatisme juif sur le modèle du shtetl ? Idéal communiste naissant ? Finalement, tout ne se passera pas comme Lerner l'aurait souhaité… Pourtant, nous sommes arrivés en 1918 et ça bouge çà et là à l'est… Israël Singer nous propose une vision à la fois très réaliste et très pessimiste de la société. D'une situation particulière singulière, il crée une oeuvre de portée universelle qui fait de lui le premier auteur classique de langue yiddish.Tout simplement excellent !
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