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Critique de PardiniGerard


Le dernier ouvrage de T. Snyder, disponible en français depuis octobre 2023, La route pour la servitude, a été publié aux États-Unis en 2018 et il constitue un nouveau signal d'alerte très fort des atteintes portées au système démocratique tel que nous le pratiquons dans les États nations européens et aux États-Unis. Atteinte au système institutionnel mais aussi au droit qui le soutient et qui apparaît de moins en moins comme une valeur garantie par les États où les organisations internationales interétatiques. Force est de constater que la création du droit devient le fait d'entités transnationales, pouvant être des entreprises commerciales. Nous sommes bien éloignés du « contrat social » qui a constitué le fondement du droit des démocraties européennes depuis la fin du 18éme siècle. L'ordre juridique des États nations est désormais contesté de l'extérieur par d'autres systèmes normatifs (illibéraux, autoritaires …), mais aussi depuis l'intérieur. Il n'est qu'à regarder le triste spectacle donné par Donald Trump contestant chaque jour le système institutionnel américain qui reposait jusqu'à présent sur un équilibre et dans la confiance placée dans un dispositif complexe de « cheks and balance » garant de la démocratie. Mark Kesselmann, professeur de sciences politiques à l'université Columbia de New-York qualifie la situation actuelle de « coup d'État au ralenti », un poison lent mais aux effets destructeurs assurés sur la démocratie.
La route pour la servitude, place la Russie au centre de la réflexion et montre les ressemblances entre les parcours de Poutine et de Trump. Les deux utilisent le pouvoir pour s'y maintenir et faire prospérer leurs intérêts personnels. Les deux utilisent le mensonge à grande échelle, plus précisément le recours à d'énormes mensonges qui présentent l'avantage de faire entrer les citoyens dans une dimension partisane et complotiste. Adhérer à une vision complotiste devient alors la seule explication rationnelle offerte…
Snyder rappelle aussi opportunément que la seconde guerre mondiale a été avant tout pour Hitler une guerre coloniale pour s'assurer de la maitrise de l'Ukraine, grenier à blé de l'URSS, ce qui aurait permis à l'Allemagne de devenir une puissance équivalente à celle du Royaume Uni. La France a toujours été secondaire dans cette stratégie. L'oubli de cette dimension explique pour beaucoup la situation confuse actuelle dans laquelle se trouve l'Europe. La réalité de ce début de 21éme siècle est que le caractère impérial des grands États européens a totalement disparu et qu'une démocratie équilibrée ne peut être atteinte qu'autour d'une « Europe puissance », pour laquelle les réticences de plusieurs pays sont fortes. le danger porté par l'actuel pouvoir Russe tient au fait que l'État Russe incarné par son dirigeant peut afficher des intérêts à défendre et une idéologie, tout comme la Chine. Quant à l'Europe et aux États-Unis, leurs intérêts ne convergent pas toujours et aucun des deux ne peut afficher une idéologie claire.
Snyder apporte beaucoup à la compréhension de la crise actuelle en expliquant les concepts de « politique d'inévitabilité » et de « politique d'éternité ». La politique d'inévitabilité c'est la vision « fin de l'histoire » qui a prévalu en fin de 20éme siècle : « Les lois de progrès sont connues, il n'y a pas d'alternative et donc pas grand-chose à faire ». Aux États-Unis, cela se décline selon le schéma expliquant que la nature a apporté le marché, ce dernier la démocratie…laquelle a entrainé le bonheur.
En Europe, ce schéma tourne autour de l'histoire de ce continent qui a apporté la Nation, cette dernière, confrontée aux guerres a compris que la paix était un objectif impératif pour lequel il était nécessaire de disposer de l'intégration européenne et de la prospérité en découlant.
L'Union soviétique s'est inscrite elle aussi dans un schéma d'inévitabilité tourné vers la technologie. La nature permet la technologie, qui, en se développant apporte le changement social, lui-même provoquant la révolution qui en se répandant met en oeuvre l'utopie communiste. L'effondrement de l'URSS a donné l'illusion aux européens et aux américains que leurs schémas d'inévitabilité triomphaient. Or, les crises qui ont suivi l'effondrement soviétique, crises financières mondiales, guerres d'Irak ont contribué à un effacement progressif de l'inévitabilité au profit de l'éternité.
Si l'inévitabilité était porteuse d'un objectif de meilleur avenir, l'éternité écrit Snyder, place la Nation au centre d'une histoire cyclique de victimisation. le temps est appréhendé circulaire dans un tel schéma. L'inévitabilité traçait une ligne vers un meilleur futur, l'éternité renvoie à des menaces du passé, sans cesse ressurgissant.
Les politiques publiques liées au concept d'éternité sont centrées sur la protection des citoyens face à des menaces. Elles vont aussi fabriquer de la crise et utiliser pour ce faire, la manipulation de l'information. La négation de la vérité est le corollaire de ce schéma qui ne peut prospérer que sur la diffusion « d'informations spectacles » faisant appel aux sentiments et non à la raison.

Lien : https://gerard-pardini.fr/20..
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