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25 janvier 2022
Le bonheur reste une idée neuve

Dans une courte note la traductrice Marie Causse parle de sa rencontre avec le texte, de ce récit « à la première personne, mais pas seulement, c'était une voix singulière », d'un voyage et d'une lecture…

Dans une autre note, les éditeurs précisent le choix de publier ce texte, à contre-courant de la pensée réactionnaire et raciste. Iels présentent les thèmes, les analyses des formes d'oppressions et des voies de mobilisations, « Au-delà de la question des questions d'exploitation des sans voix, Aboubakar Soumahoro interroge ainsi notre capacité à créer l'alliance nécessaire de tous les travailleurs et travailleuses, quelles que soient leurs différences ». Il convient bien de prendre en compte l'ensemble des rapports sociaux et leur imbrication historique, de refuser les concurrences de celleux qui « cherchent à faire primer « la classe » sur « le genre », « le genre » sur « la race », ou « la race » sur « la classe » », d'incarner un humanisme en révolte…

Il ne me semble pas inutile de citer la phrase mise en exergue : « Aux femmes et aux hommes qui luttent pour le droit au bonheur »

En utilisant une métaphore sportive, Aboubakar Soumahoro souligne en introduction la nécessité de « s'extraire du coin », de se mettre au centre alors que les dominants cherchent à nous disqualifier, nous rejeter aux marges, voir hors de leur histoire. le livre commence par des histoires de migrant·es, d'hommes et de femmes « à la recherche du bonheur à l'ère des damnés de la globalisation », le bonheur contre l'indifférence et l'égoïsme…

L'auteur aborde le « rêve d'Europe », la possibilité de d'étudier et de voyager, son propre parcours, son premier souvenir, « c'est le froid qui transformait mon haleine en fumée », l'omniprésence du temporaire, le rappel permanent de n'avoir pas le droit d'être là, le marché aux bras, « On a la sensation d'être de la marchandise exposée au marché aux bras, dépouillée de toute humanité », la précarité et l'interdiction de refuser la moindre proposition, la précarité et l'impossibilité de faire le moindre projet. Je souligne les analyses sur les pressions exercées sur les travailleurs et travailleuses, l'absence de rapport de travail formalisé, les droits subordonnés à la capacité de travail, les différences de traitements, la concurrence créée entre exploité·es, « les droits des travailleurs, s'ils ne sont pas pour tout le monde, ne seront pour personne ».

Les gouvernements ont transformé l'Europe en forteresse, la Méditerranée en immense cimetière ouvert. Les cotes sont militarisées, la gestion des frontières sous-traitées, la solidarité criminalisée, les principes fondateurs des traités internationaux bafoués. Des êtres humains sont transformés en sans-papier, catégorisés uniquement comme migrants, « La construction de la catégorie du migrant est un dispositif qui enferme des centaines de milliers de personnes dans des « cages » économiques, sociales et culturelles ».

Les discours et les pratiques institutionnelles participent de la « construction de l'ennemi ». L'auteur parle, entre autres, de « racialisation institutionnelle », de séparation pour exclure, des lois italiennes sur l'immigration, du paradigme « de l'invasion et de la crise », du paradigme « utilitariste et économique », du paradigme « sécuritaire », des restrictions de la liberté des migrant·es, de division « nette entre l'Italien, protégé par les principes de la Constitution, et le migrant, qui ne jouit pas de la même protection », de critères différents d'accès aux services pour les enfants, de l'association de l'immigration avec la criminalité,du « délit de clandestinité », d'identification et de d'expulsion, de ghetto institutionnalisé, des sections spéciales des tribunaux, de la séparation des réfugié es et des demandeurs/demanderesses d'asile, de déchéance de nationalité, de poursuite de la colonisation sous d'autres formes, et de nouveau modèle de communauté « qui valorise les diversités et la pluralité culturelle dans ses dimensions immatérielles et matérielles ».

Des murs et les marches pour la liberté, Aboubakar Soumahoro discute des droits inaliénables « associés au fait même d'être des humains », de la liberté de circulation, de la régularisation « pour sortir de l'invisibilité », du parler « en notre nom », d'écriture d'une nouvelle histoire, d'une marche « qui traverserait les frontières européennes, et passerait par des lieux symboliques de différents pays », de remise en cause du système, « Car lorsque l'on décide de subordonner le droit de circulation à d'autres exigences, comme celle des marchés, on transforme la personne en objet », de solutions adéquates aux besoins des personnes.

L'auteur fait le lien entre la situation des personnes en situation de migration et l'absence de droit avec les formes anciennes et modernes d'esclavage. Il aborde la situation des travailleurs et travailleuses agricoles, les emplois illégaux et les subventions, l'attribution des aides de l'Union européennes sans conditionnalité écologique et sans respect des droits syndicaux, les transnationales agroalimentaires, le caporalato, la politique de prix bas et ses effets sur les salarié·es et les producteurs et productrices. Je souligne son argumentation sur la place du syndicalisme et des droits syndicaux, « Si nous voulons rendre leur dignité aux travailleurs et aux travailleuse, leur permettre de reconquérir leurs droits syndicaux et sociaux grâce à l'organisation et la syndicalisation de toute la filière agricole, de la fourche à la fourchette, nous devons partir des travailleurs et travailleuses agricoles, dans une perspective d'alliance avec les paysans et les agriculteurs d'un coté, et les consommateurs de l'autre, pour demander à travail égal, salaire égal, des aliments sains et une vie digne », sur la nouvelle conscience écologique, sur la prise en compte du métissage de la classe ouvrière.

Aboubakar Soumahoro reprend à son compte des analyses de Giuseppe di Vittorio. Il argumente sur un syndicalisme rénové, « Si nous partons de l'idée du travailleur comme personne, alors le syndicat doit être une organisation libre, démocratique et plurielle de « personnes travailleuses » ou sans emploi, capable de rassembler les travailleurs fragmentés et isolés pour améliorer leurs conditions de vie dans une dimension collective », la protection quotidienne « des besoins matériels et immatériels des personnes », l'internationalisation des actions syndicales. L'auteur aborde le travail en logistique, sur les plates-formes, les cycles de travail sans pause, les flux de production en continu, l'érosion des bases sociales collectives, l'accentuation des inégalités, la violation des droits humains.

« Au fil de ces pages j'ai essayé de raconter certains dispositifs qui ont contribué à mettre en acte un processus de « déshumanisation » qui s'est consolidé dans nos sociétés au cours des dernières années ». En conclusion, Aboubakar Soumahoro insiste sur la visibilité à reconstruire des exclu·es et des marginalisé·es de la société, la défense des besoins matériels et immatériels des hommes et des femmes, les rêves des êtres humains, la solidarité, « La solidarité est donc la lutte pour l'intégrité, pour faire partie du tout, pour être autre chose que des bras pour travailler ».

Un petit livre plein d'humanité, de bonheur, de ponts à créer pour que chacun·e soit plus humain·e.
Lien : https://entreleslignesentrel..
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