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Critique de vibrelivre


Les petites robes noires
Madeleine St John
roman, Albin Michel, 258p, 2019
traduit de l'anglais(Australie)par Sabine Porte


C'est une découverte : ce livre, paru en 1993, et déjà considéré comme un classique,
n'avait jamais été traduit en français. On, ou les éditions Albin Michel, à la suite des éditions Text, parlent d'un petit chef-d'oeuvre, et cet adjectif devant un tel nom, ne manque pas d'étonner, à moins qu'il ne renvoie à la brièveté du roman, allongé par deux présentations de l'auteure par un réalisateur de film qui a adapté son livre, et le journaliste qui a rédigé sa nécrologie.
Les petites robes noires entraînent le lecteur dans un monde féminin, très précisément dans un grand magasin de prêt-à-porter et de robes du soir. Ce grand magasin propose des robes à la mode de Londres ou d'Italie ou d'ailleurs, de France là où on confectionne des robes pour de vraies femmes, qu'on réussit à faire paraître minces. Les petites robes noires sont l'uniforme des vendeuses, choisies pour leur adaptabilité et leur avantage de demander peu de tissu, et elles dégagent une drôle d'odeur, pas déplaisante mais curieuse. Madeleine St John dresse avec vivacité et une certaine acidité le portrait des employées, dont Patty, une femme mariée sans enfant, Fay, une presque trentenaire encore célibataire, qui se rend compte que sa troupe d'« amis » n'est pas intéressante. Une toute jeune fille, parfois appelée « l'enfant », qui travaille comme intérimaire au moment de Noël, période d'affluence ou comme dit le patron avec exagération, d' « émeute ». L'action se passe à Sydney, ville beaucoup plus intéressante que Melbourne qui ne peut offrir que de bons gâteaux et un musée avec de belles collections de tableaux, en 1959, quand « la nuit de l'été austral palpite».
La grande affaire pour une femme d'alors, c'est d'abord de se marier, ensuite d'avoir des enfants. Aussi Miss Jacob à la forte poitrine, la chef de rayon mais accaparée par les retouches, reste-t-elle un mystère. On ne connaît pas même son prénom , mais c'est une perle pour le magasin, son patron paternaliste qui a un peu pitié d'elle, le sait. Fay ne parle que d'hommes. Les garçons, eux, « attendent des filles qu'elles soient idiotes ou du moins écervelées... mais la plupart d'entre elles font semblant de l'être pour leur faire plaisir ».
Un autre mystère, c'est Magda, une Européenne, une Slovène, qui partage avec ses compatriotes la manie d'embrasser, officie dans la grotte rose des Modèles Haute Couture, ne porte pas l'uniforme mais après compromis, jouit de toute une collection de robes noires, et à plus de quarante ans, demeure magnifique. Elle est mariée à un Hongrois épris de culture.
le personnage principal du livre est la jeune fille, prête déjà à l'émancipation. Elle vient de passer son diplôme de fin d'études, attend ses résultats pour entrer à l'université, se fait appeler Lisa parce qu'elle déteste son prénom Lesley. Elle pourrait pour une part représenter l'auteure. Elle est intelligente, aime la littérature et un poème en particulier de Blake, elle a toujours un livre à la main, elle veut devenir poète. Maigrichonne, petite, elle est encore une adolescente, mais peu à peu, parce qu'elle est dans le monde du travail, que Magda, qui empiète sur la place de sa mère, l'ouvre à la vie d'adulte, elle devient une belle jeune fille. Naturellement, on lui présente un jeune homme qui lui aussi fait de belles études. Avec sa mère, elle décide d'entrer à l'université, tandis que son père, qui joue aux courses régulièrement, ne voit pas ce qu'une femme a à faire dans un tel lieu.
Ce petit monde de femmes n'est pas épargné. Les vendeuses, qui n'ont pas de relations étroites entre elles, s'épient et se dénigrent. Patty aime bien jouer à la chef quand elle est sûre de ne pas rencontrer d'opposition, Fay ne parle que d'hommes, toutes les deux jalousent Magda. Elles aiment la toilette, mais les robes du magasin sont chères, malgré leur prime de Noël , les soldes, et la remise du personnel. Cependant Patty craque pour une nuisette et Lisa pour la robe nommée Lisette, qui la délivrera des habits confectionnés par sa mère, soucieuse de faire des économies et consciente de la modestie de son milieu.
Il y a les vendeuses, mais aussi les femmes qui achètent, les « hordes de ménagères », « la phalange des viragos ». Et Madeleine St John de montrer des mères dépassées par leurs enfants, et ne laissant pas de pourboire aux vendeuses qui réparent le désordre qu'ils causent ; le désir des femmes d'avoir une robe unique, parce qu'elle n'aime pas porter la même robe qu'une autre, et poussées par une loi biologique, non par la vanité ni l'avidité, à se faire belles ; la bataille des femmes dans les magasins au moment des soldes. L'autrice décrit l'affairement des femmes, le rôle des vendeuses, avec justesse, sympathie, et distance ironique. « Vous pourriez vous laisser aller à votre fantaisie un petit moment, cela fait du bien à l'âme ». La femme achète un habit pour se remonter le moral ou pour sortir de sa vie médiocre, comme Patty dont le mari est « un con standard ni cruel ni violent, mais qui n'a rien à dire ». « Pour une femme, il ne s'agit jamais uniquement d'amusement ».
La nuisette qu'elle achète provoquera le tumulte dans le corps et le coeur de son mari qui, après une nuit torride et féconde, partira un moment, car comme tout homme, il est bête et a besoin de faire le point.
La fin du roman est un conte, c'est la période de Noël : Patty est enceinte, son mari est revenu, Fay a trouvé soudainement l'amour de sa vie, Lisa, dont les résultats sont brillants, commence une vie plus variée, qui attire, même si l'âge adulte lui reste mystérieux, bien que la quadragénaire Magda soit également choquée par les imprévus.
C'est un livre court, écrit dans un style incisif et sur un rythme très alerte, sans que rien ne pose. C'est un roman de formation. C'est surtout la peinture d'un monde de femmes, placées dans un endroit pour femmes, à une certaine époque, qui prennent plus ou moins conscience de leur condition, et qui, pour certaines, en tout cas les personnages principaux du livre, se démènent pour en sortir. Même l'école n'a pas pour premier but d'éduquer, mais de se flatter des mentions très bien obtenues par les élèves. C'est un livre féministe.
C'est un bon livre, intéressant et agréable. Mais ce n'est pas un chef-d'oeuvre, même petit.
Merci à Babelio et à Masse critique de m'avoir offert ce livre et de m'avoir fait découvrir cette auteure.
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