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Critique de horline


RDA, les années 80. C'est l'époque des entreprises collectives du peuple les « VEB », des files d'attente devant les magasins, des Lada et des Trabant, du troc, des autorisations administratives pour régler les questions domestiques, des réquisitions de logement, des regards inquisiteurs, de la parole fragile qu'on ne peut abandonner au jugement rapide des gens, des contrôles policiers arbitraires, de la corruption grandissante au sein de la nomenklatura, du ciel gris voilant les espérances individuelles…

Face à cette laideur du quotidien, la Tour est ce quartier de Dresde où les habitants, médecins, chirurgien, ingénieur, directeur d'édition, construisent leur « propre réalité pour la façonner selon leurs rêves ». Face à une vie suspendue à un marteau et une faucille qui s'avèrent de plus en plus rouillés, chacun se réfugie dans ses pensées, ses souvenirs ou ses espoirs tenus pour rompre avec la réalité et la rendre plus supportable.
Ils se réfugient dans les livres ou la musique, ou encore se ressourcent dans la solidarité sincère créée entre eux de sorte que ce quartier apparaît comme une île ceinturée d'un mur et de barbelés.

L'auteur dépeint habilement cette part immobile de l'Histoire, cette vie faite de temps et de tristesse, ces gens discrets que rien ne semble ébranler, pas même un régime qui leur est hostile. Parmi eux, Christian adolescent doux rêveur et sensible appelé à grandir plus vite qu'il n'aurait voulu.
Rares sont les marxistes convaincus, quelques uns le sont par opportunisme, mais la grande majorité, parce qu'elle a une vision singulière, se dissimule derrière une discrétion anglaise. Les critiques sont toujours prononcées à voix basse, à l'abri des regards scrutateurs et des sourires aigres-doux. C'est une population vulnérable et usée par des lendemains empêtrés dans une révolution marxiste à bout de souffle.
Malgré tout, la prudence lasse, irrite. le détournement de la vérité, le zèle bureaucratique absurde, l'arrivée de nouveaux habitants et la rage impuissante qui s'accumulait jusque-là annoncent subrepticement des changements à venir face à ce qui apparaît rétrospectivement comme les ultimes sursauts du régime.

Uwe Tellkamp a construit un roman plein de sensibilité qui creuse un sentiment accablant d'immobilité, d'indolence, de désarroi ou encore d'impuissance silencieuse dans un pays gris et prisonnier de ses idéaux. le temps parait immuable et les choses intangibles.
L'auteur a choisit le récit contemplatif d'abord parce qu'il a le talent pour nous imprégner de toutes ces choses qui échappent au langage et que les mots interdits dans un État policier ne peuvent relater_ La parole n'étant pas libre, le moindre reproche pouvait faire basculer une vie. Ensuite parce qu'il convient de reconnaître à Tellkamp une intelligence intuitive qui appréhende brillamment le genre humain.
C'est un roman lent qui s'insinue dans les profondeurs du désenchantement humain, rien de hâtif dans l'écriture vagabonde, élégante et racée. Si bien que parfois le rythme narratif apparaît malheureusement trop lent, le souffle évocatoire embué par une subtilité et des digressions pas toujours accessibles. Chacun des personnages s'attachant à demeurer impénétrable.


La Tour n'en demeure pas moins une évocation « lumineuse » de la vie en RDA divisée entre amis et ennemis, écrasée de tout son poids par le dogmatisme aveugle. Lorsqu'on s'intéresse à la biographie de l'auteur, on se dit qu'il revisite son passé, les lieux et les choses oubliées ou incomprises lorsqu'il était plus jeune.

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