Certains ne vont aux enterrements que pour voir qui sera dans le cercueil la prochaine fois.
C'était pour lui une victoire - il allait bientôt avoir six ans, et c'était le premier mur qu'il escaladait de sa vie. Il resta un moment assis là, comme un roi sur son trône.
Routine, tout n'était que routine quand on se faisait vieux.
Il se sentait déprimé, c'était peut être la crise des 80 ans.
Les morts se rassemblent autour de lui, des ombres grises qui se bousculent.
Déranger la fourmilère.
Pour une fois, Nils est descendu au village dans la soirée, il est passé devant le moulin et a croisé les regards silencieux des meuniers. Il ne leur a pas dit un mot, mais il sait qu'ils parlent de lui dans son dos. La rumeur court. Et le récit de ce qui s'est passé sur la lande se propage comme des ronds dans l'eau.
MIEUX VAUT UN HOMME LENT A LA COLERE QU'UN HEROS, UN HOMME MAITRE DE SOI QU'UN PRENEUR DE VILLES.
Pendant une seconde, le poids de toutes ces années perdues lui oppressa la poitrine - ces années où le deuil de son fils disparu avait compté beaucoup plus que les souvenirs lumineux qui auraient pu la consoler : un gouffre noir de chagrin où elle s'était abîmée, ce qui la dispensait de prendre sa vie en main.
Je ne fais pas l'intéressant, dit-il. Je pense seulement qu'il vaut mieux raconter les histoires à son propre rythme. Autrefois, on prenait son temps, maintenant il faut que tout aille si vite.
Oui, ça vaut mieux que boire du vin en prenant des cachets devant la télé à Göteborg, pensa Julia. Pendant une seconde, le poids de toutes ces années perdues lui oppressa la poitrine – ces années où le deuil de son fils disparu avait compté beaucoup plus que les souvenirs lumineux qui auraient pu la consoler : un gouffre noir de chagrin où elle s’était abîmée, ce qui la dispensait de prendre sa vie en main.
Mais à présent, elle connaissait la paix. Un peu de paix.
Gerlof détourna les yeux vers le soleil couchant, de l’autre côté de la fenêtre. Il aurait préféré être tout petit et écouter les histoires horribles que l’on raconte à l’heure trouble du crépuscule, plutôt qu’être vieux et devoir les raconter lui-même.
Dans sa chambre de la maison de retraite de Marnäs, Gerlof Davidsson regardait par la fenêtre le soleil se coucher. La cloche de la cuisine venait de sonner pour la première fois, c’était bientôt le dîner. Il allait se lever et aller au réfectoire. Sa vie n’était pas finie.
S’il était resté dans le village de pêcheurs où il était né, Stenvik il aurait pu aller s’asseoir sur la plage et regarder le soleil lentement disparaître dans le détroit de Kalmar. Mais Marnäs se trouvait sur la côte est de l’île, et c’est pourquoi il voyait chaque soir le soleil disparaître derrière un petit bois de bouleaux, entre la maison de retraite et l’église, plus à l’ouest. On était en octobre, les branches des bouleaux n’avaient presque plus de feuilles et ressemblaient à des bras maigres tendus vers le disque rouge et jaune du soleil déclinant.
C’était l’heure trouble - l’heure des histoires horribles.