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Critique de CeCedille


le 19 octobre 1816, "Le Bordelais", un petit trois mats de 200 tonneaux, commandé par Camille de Roquefeuil, armé par Balguerie junior, quitte Bordeaux pour un long tour du monde (37 mois et 2 jours, dont 22 mois et 6 jours de navigation à voile). "Le Bordelais", doublé de cuivre pour ce long périple, avec un équipage de 34 hommes, est armé de 8 canons. Il embarque, pour la première fois, un chronomètre (Bréguet n° 172) qui lui rend les plus grands service pour la mesure de la longitude. L'objectif du "Bordelais" est de faire la traite des peaux (pelleteries) chassées sur la côte Nord-Ouest de l'Amérique pour les revendre en Chine. L'opération se promet d'être fructueuse : lors de son troisième voyage, le capitaine Cook avait acheté 1500 peaux de loutres de mer pour les revendre avec un bénéfice faramineux de 1800% ! C'est le graal du troc de peaux de loutres de mer et de bois de santal contre des produits chinois recherchés en Europe. le Bordelais est de retour le 21 novembre 1819, bien déçu. Les peaux de loutres sont devenues rares, à cause de la surpêche. le santal s'est très mal vendu.
Pour raconter l'expédition du "Bordelais", il y a deux récits successifs : celui, officiel, du capitaine de Roquefeuil et le manuscrit du chirurgien du bord, Vimont, retrouvé et ici réédité. Ce jeune homme, malgré son âge (23 ans) est un naturaliste érudit et observateur avisé et enthousiaste. Né en 1793, il a déjà beaucoup navigué. le 16 janvier 1814, il est au large des Canaries sur la frégate de 44 canons l'Alcmène, commandée par du Crest de Villeneuve qui mène un combat désespéré contre un vaisseau anglais de 74 canons, le HMS Venerable. Il est fait prisonnier et conduit à la Barbade. Mêlé aux combats entre Bolivar et les Espagnols lors de la guerre d'indépendance du Venezuela. Son journal, plein de judicieuses observations, souvent d'une étonnante maturité. Il est plus vivant que celui de son capitaine Roquefeuil, lequel, tout imbu de sa qualité d'ancien officier du roi, se comporte comme un ambassadeur en mission et sympathise avec les autorités espagnoles. Mais, surprises par la révolution à Valparaiso, elles l'obligent à se dessaisir à leur profit des armes emportés par le Bordelais, pour tenter, en vain, d'arrêter les troupes de José de San Martin et Bernardo O'Higgins venues de la Cordillère des Andes libérer le Chili. Sa loyauté à son supérieur n'empêche pas le chirurgien Vimont de voir les erreurs de son capitaine lors d'une attaque qui entrainera la mort d'une vingtaine de pécheurs et beaucoup de blessures, justifiant le versement d'une indemnité importante qui affectera les résultats commerciaux de l'expédition. Roquefeuil a été imprudent : le 18 août 1818, il a laissé les Kodiaks, qui chassent les loutres pour le compte des français installer leur camp sur la grève d'une ile de l'archipel du Prince de Galles. Or les prescriptions de sécurité sont connues : rester sur la bateau, déployer des filets, installer des tours de garde. Cette négligence entraine la mort d'un vingtaine de Kodiaks lors d'une attaque d'indiens. Et le capitaine, qui agite en vain un mouchoir blanc depuis la berge pour qu'on vienne le chercher sans attirer sur lui l'attention ne doit son salut qu'au fait de se jeter dans l'eau glacée pour nager vers le canot. Vimont analyse finement les raisons de l'agressivité des indiens à l'endroit de Kodiaks. Ceux-ci travaillent pour les "Russes, qui, non contents à la vérité de s'être emparés des terrains qui leur convenaient le mieux en chassant ceux à qui la nature les avait donné en partage, ont encore amené sur cette côte des pêcheurs pour enlever ce qui seul fait la richesse et le bien être de ces naturels" (p. 205). En une phrase, toute l'histoire du colonialisme ! Il est toujours attentif aux populations qu'il rencontre et à leur étranges manières de guerroyer sans cesse, puis de se réconcilier. Mais il sait reconnaitre à bon escient leur supériorité, en matière nautique : « Les embarcations Kodiaks... sont, à mon avis, tout ce que le génie et le goût peuvent inventer »
Mais les déconvenues commerciales du voyage, si riche et instructif par ailleurs, rappelle opportunément le vieil adage selon lequel "il ne fault marchander la peau de l'ours devant que la beste soit morte".
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