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Critique de Eric75


Kip Thorne est vraiment un auteur tip top ! Non content d'être devenu une sommité mondiale dans ses domaines de prédilection : la relativité générale, les trous noirs, les ondes gravitationnelles… il s'impose comme un vulgarisateur hors pair (cet essai plusieurs fois primé en est la preuve éclatante), et, de plus, il imagine à ses heures perdues des scénarios de films de science-fiction. C'est ainsi qu'il a été sollicité pour être le conseiller technique du film Interstellar de Christopher Nolan, après en avoir écrit la première mouture du scénario, initialement destinée à Steven Spielberg. Interstellar, blockbuster à très gros budget sorti en 2014, est très largement inspiré, on le découvre ici, du récit de science-fiction de 38 pages présent dans le prologue du livre de Kip Thorne, paru en 1994. Effets relativistes s'appliquant aux occupants du vaisseau spatial, robots parlants, anneau-monde comme dernier refuge de la civilisation humaine, géométrie des trous de ver et des trous noirs, tout y est. Même le nom du trou noir – Gargantua – a été conservé.

Après avoir lu un certain nombre d'ouvrages sur des sujets pointus tels que la relativité générale et les trous noirs, la physique quantique et le modèle standard, la cosmologie et le big bang, je me suis dit que les révélations, au fur et à mesure de mes lectures, allaient maintenant se faire de plus en plus rares. J'ai pensé qu'un livre de plus, surtout publié il y a plus de vingt ans, allait tout au plus pouvoir consolider le corpus global des connaissances acquises, en apportant au mieux un éclairage nouveau dû à l'expérience et à la vision personnelle de l'auteur.

Mais quelle erreur ! Ce livre d'une richesse inouïe – de 654 pages quand même – a été pour moi une véritable mine de renseignements inédits. Sur l'histoire de la recherche scientifique. Sur les effets relativistes et gravitationnels. Sur les singularités, les naines blanches et les étoiles à neutrons, les trous noirs et les trous de ver, les ondes gravitationnelles, les possibilités théoriques des voyages dans le temps. Sur la vie quotidienne des nombreux chercheurs – pour la plupart personnellement connus de l'auteur, y compris quelques prix Nobel et quelques savants soviétiques oeuvrant au moment de la guerre froide – qui tentèrent de relever un nombre incroyable de défis scientifiques depuis le début du XXe siècle.

Le premier scénario de ce qui allait devenir vingt ans plus tard le film Interstellar n'est que la mise en bouche. On apprend dans ce volumineux essai comment l'élève iconoclaste Albert Einstein se fit mal voir de son professeur de physique à l'Institut polytechnique de Zurich, ce qui lui valut un début de carrière difficile. Comment Subrahmanyan Chandrasekhar – lui aussi futur prix Nobel – fut humilié en public par Sir Arthur Eddington, vieux briscard spécialiste de la relativité générale, alors qu'il proposait une étude révolutionnaire sur la mort des naines blanches. Comment Fritz Zwicky inventa le concept d'étoiles à neutrons, qui seront observées pour la première fois trente-cinq ans plus tard. Comment Lev Landau (lui aussi prix Nobel), fut accusé d'espionnage au profit de l'Allemagne nazie, arrêté par la police de Staline, et mentalement détruit. Pourquoi les astrophysiciens américains et russes (Wheeler et Oppenheimer, Zeldovitch et Sakharov) cessèrent de regarder les étoiles pour se lancer dans la mise au point de la bombe H (la raison n'est pas seulement géopolitique, elle est aussi conceptuelle).

On découvre aussi pourquoi un trou noir, cette entité particulièrement attractive et attirante, n'a pas de poils. Euh... ne peut être entouré d'un système pileux... On se calme, je n'évoque ici que le théorème de calvitie (« no hair » en anglais) des trous noirs…

On apprend que la fine fleur des scientifiques mondialement connus dispensait des cours d'été aux Houches dans les années 60, portant sur la détection des ondes gravitationnelles (cf. citation). Pour bien comprendre ce que cela signifie, soulignons que Kip Thorne, évoque dans cet essai sorti en 1994 un cours donné en 1963 qui allait définitivement orienter sa carrière (Kip Thorne est l'un des cofondateurs du projet LIGO), portant sur des expériences susceptibles de valider une prédiction d'Einstein de 1916 et qui donneront leur premier résultat le 14 septembre 2015. Cette première véritable détection d'une onde gravitationnelle, une ride infinitésimale de la courbure de l'espace-temps émise il y a 1,3 milliard d'années, a été officiellement annoncée le 11 février 2016.

Et ce ne sont là que quelques exemples.

Signalons pour finir un unique et mineur bémol à cet essai publié en poche chez Flammarion, collection Champs sciences : la taille réduite des illustrations. Sans doute plus lisibles dans la version grand-format, les « figures » (notamment les schémas et dessins très finement élaborés) perdent beaucoup en lisibilité, parfois jusqu'à rendre incompréhensibles certaines indications.

Malgré cet inconvénient, ce livre reste un ouvrage de vulgarisation scientifique de haute volée, que l'on ne peut que recommander à tous les amateurs du genre, notamment à tous ceux qui souhaitent dépasser le stade Stephen Hawking, certes estimable scientifique de haut niveau qui a souvent exploré des sujets équivalents lors de ses recherches, mais dont les essais traduisent une volonté de rester à un niveau de vulgarisation « pour les nuls » ou destinée aux petits enfants.
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