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Critique de Paulette2


La qualité de "Charge" est sa valeur de témoignage de l'intérieur sur le « huis clos psychiatrique ». Un témoignage à charge, bien sûr. L'autrice, Treize, raconte l'enfer qu'elle a vécu pendant les dix ans de sa prise en charge, puis comment elle s'est libérée de toute médication en apprenant à contrôler sa santé mentale fragile, qu'elle « doit surveiller comme du lait sur le feu ».

De son ton sincère, rageur, qui emporte immédiatement notre sympathie, elle nous explique les posologies auxquelles elle a été soumise par les psychiatres (mélange d'antidépresseurs, d'anxiolytiques et d'antipsychotiques auxquels s'ajoutent les « si besoin »). Elle ne comprend pas l'utilité de ces médicaments, les prend à son corps défendant, en sortant d'elle, ce qui accentue les crises de dépersonnalisation qu'ils sont censés combattre. Pourtant il faut les prendre, il faut ruser avec les psys qui ont un pouvoir immense sur leurs patients, qui peuvent les empêcher de travailler ou leur infliger une « sismothérapie » (c'est-à-dire des électrochocs qui diminueront "la résistance au traitement").

Cet ouvrage dit très bien le rapport de pouvoir qui s'instaure entre le psy et son patient, placé en-dessous, toujours, sa parole confisquée, son sentiment d'être mal ou pas écouté, l'expansion du sentiment de solitude inhérent à la maladie mentale, le diagnostic humiliant...
Mais il nous montre aussi, et c'est l'aspect touchant de cette lecture, comment l'écriture devient une arme contre la folie. En écrivant, Treize trouve sa voix. Elle développe une langue inventive, forte, dérangeante, que l'expérience du slam a nourrie et qui trouve son expression la plus forte dans cinq poèmes qui enrichissent son essai. Cette "écriture pulsionnelle" permet de dépasser le simple témoignage : elle ne se contente pas d'observer en criant sa colère, elle crée quelque chose d'autre, un univers où on la sent bien, forte, joyeuse et créative, libre enfin d'être elle-même. Cet aspect nous ouvre la porte d'un monde autre, plus fort, plus intense, plus brûlant, auquel le sain d'esprit n'a pas accès :
"les yeux que j'ai fermés sur l'ici se sont ouverts en grand ailleurs".

"Charge" est donc une excellente introduction au thème de la psychiatrie vécue de l'intérieur. Une seule chose m'a cependant gênée à cet égard : l'absence du point de vue adverse. J'aurais aimé lire ce que pense un psychiatre intelligent et humain de l'expérience de Treize, de la médication infligée aux psychotiques et de la possibilité de s'en passer. Peuvent-ils vivre sans traitement ? A quelles conditions ? N'est-ce pas dangereux, malgré tout ?

Lu dans le cadre du Grand Prix des lecteurs Pocket 2024
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