Soeur Fidelma, tome 17 : Une danse avec les démons

- Mais récemment, une résistance au christianisme s'est fait jour.
- Comment l'expliquez-vous ?
- Cela remonte à une ou deux générations, quand le pape Grégoire a déclaré la primatie de Rome sur les pays christianisés.

Dans les cinq royaumes, aucune de nos grandes abbayes n'a été désignée église primatiale, et nombreux sont ceux qui n'apprécient guère la perspective d'obéir à Rome en toute circonstance. Cela ressemble fort à une limitation de nos libertés, et à une restauration de l'Empire romain sous une forme nouvelle.

En fin d'après-midi, Fidelma se rendit seule à l'officine de Frère Conchobhar, à l'ombre de la chapelle. Eadulf (...) n'avait pas pu l'accompagner. (...)

En voyant sa visiteuse, il se leva et lui tendit les bras.
Il la connaissait depuis toujours, ayant servi son père, le roi Failbe Flann, et d'autres monarques avant et après lui.

Dans la capitale de Muman, personne n'imaginait le château sans la silhouette voûtée de ce célèbre apothicaire, médecin et astrologue. Il avait enseigné sa science à de nombreux élèves dont la jeune Fidelma, qui s'était fait un devoir d'acquérir des connaissances dans les domaines les plus variés.

Bien qu'ils soient très proches, frère Conchobhar ne l'appelait jamais par son prénom. Il l'avait pourtant soignée depuis son enfance et conseillée à chaque étape importante.

Le bout inférieur était protégé par une virole en bronze, et l'autre extrémité coiffée d'une tête d'homme à la moustache tombante, en bronze également, avec des rubis à la place des yeux, un torque autour du cou et un genre de couronne en forme de croissant sur la tête. Ce croissant était incrusté de pierreries composant des symboles solaires. (...)

si le bâton sortait de l'ordinaire, le collier était stupéfiant. Composé de fils d'or tressés de différentes teintes, il enserrait une série de symboles et de pierreries travaillés avec une extrême délicatesse. (...)

- Il veut dire que ce vieil homme était sans doute un druide (...)
[Le vieil homme a été retrouvé mort chez l'aubergiste Ferloga, le bâton et le collier lui appartenaient. On cherche à l'identifier.]

Fidelma réfléchit.
- Le mieux serait que l'on emporte ses possessions à Cashel.
Frère Conchobhar est un fin connaisseur de ces symboles et des anciennes coutumes qui s'y rattachent. Peut-être nous en dira-t-il plus (...)

Frère Conchobhar examina l'objet en silence.
- Je n'ai rien vu de tel depuis mon enfance, fit-il enfin.
C'est un objet très précieux, et très ancien. Où l'avez-vous trouvé ?
- Dites-moi d'abord ce qu'il vous évoque.

- Avant que le christianisme ne vienne s'implanter en Irlande, ce genre de bâton sculpté était utilisé par les anciens maîtres.
- Vous voulez parler des druides ?
Frère Conchobhar hocha la tête.
- Druide vient de dru, "immersion" et de vid, "connaissance". Ces hommes étaient considérés comme des érudits également versés dans la spiritualité.
Entre nous, ils n'en étaient pas plus sages ou mieux informés pour autant.
- J'en ai pourtant rencontré de fort savants, et nombreux sont ceux qui s'accrochent encore aux anciennes croyances.

- A l'ouest, les gens sont assez retardés, déclara Caol d'un air dédaigneux.

Fidelma sourit.
- A moins qu'ils n'évoluent dans une autre direction, dit-elle d'une voix douce.

Contrairement à ce que vous semblez croire, ceux qui suivent les voies de nos ancêtres et vénèrent les dieux et les déesses d'autrefois sont encore très nombreux, et bien des chrétiens considèrent les druides comme des sages et de grands maîtres. Colomba, la colombe de l'Eglise, a même écrit dans un de ses poèmes que le Christ, le fils du Dieu unique, était son druide.

Eadulf jeta un regard approbateur à la table où étaient exposés des pains variés, des assiettes de sercol-torsan ou venaison, des tranches de mairt-fhéol ou rôti de boeuf, des oeufs d'oie écalés, des lats de gruth-caisse ou fromage frais, et de tanag ou fromage vieilli. Il y avait aussi des salades de cneamh, composées d'ail, de cresson et d'oseille. Le dessert consistait en noisettes, pommes, myrtilles et miel. Quant aux boissons, il n'avaient que l'embarras du choix : cidre, hydromel ou vin rouge en provenance de Gaule.

L'hospitalité était une vertu très prisée dans les cinq royaumes,
et chaque clan entretenait une hôtellerie pour y loger les voyageurs et les personnalités de passage.

Tout comme les auberges privées, ces établissements étaient soumis à des règles strictes, les services que l'on pouvait exiger dûment répertoriés, et les dégradations éventuelles aux possessions et aux meubles des aubergistes sévèrement sanctionnées. (...)

La loi stipulait également qu'un feu devait être alimenté en permanence pour le bénéfice des voyageurs.

- Le règne du paganisme, avec ses sacrifices aux dieux et la perspective du vide après la mort, était-il une époque bénie ?

- L'ambition est un démon qui corrompt insensiblement et finit par gâter le cœur et l'esprit, lança Fidelma d'une voix forte.. Il invite la lie de l'humanité à danser avec lui et si la danse est réussie, il n'a pour seule récompense qu'une célébrité transitoire qui sombrera dans l'oubli de la tombe.

Les sentiments des ambitieux sont détruits par l'ambition

Dans nos lois, il est écrit que le peuple est plus fort qu'un seigneur,
car c'est lui qui vote aux assemblées du clan.