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Critique de AMR_La_Pirate


Je remercie NetGalley et les éditions Yovana pour l'envoi de ce livre de Philippe Vinard, Les Sirènes de Kampuchéa, une série de récits très imprégnés du vécu de l'auteur au Cambodge dans les années 1985-1987, deux ans au cours desquels il fut l'un des cinq humanitaires français autorisés à résider au Kampuchéa.
Cette lecture est pour moi l'occasion de me plonger dans une période historique que je ne connais pas du tout ; j'ignorais que le Cambodge s'était appelé un temps, entre 1979 et 1989, la République populaire du Kampuchéa… C'est dire mon ignorance en la matière…

Le narrateur nous raconte à la première personne le quotidien d'une société marquée par la guérilla des Khmers rouges, par les absurdités d'un régime communiste bancal et par le poids de l'occupation vietnamienne. Il témoigne à la fois de la vie en huis clos dans le cercle bien-pensant des expatriés et de l'énergie déployée par les populations pour survivre à travers des tranches de vie romancées mais directement inspirées de faits et de personnages réels.
Tout de suite, on est frappé par la bureaucratie tatillonne, le flou administratif généralisé qui servent pourtant de cadre à l'action humanitaire. Si j'ai pu sourire devant l'ensemble des petits systèmes d'et arrangements mis en oeuvre, les fameux « rendez-vous par hasard », le « pouch » (sorte de valise diplomatique)… , j'ai été révoltée par les pertes de temps et de moyens dans une organisation qui peut prendre un marteau pilon pour écraser une mouche et laisser pourrir des situations dramatiques. L'auteur nous dépeint le Kampuchéa comme une sorte de Far West « où l'on pouvait s'enrichir vite et dilapider son argent sale », dans des relents de colonisation.

Les nouvelles insistent cependant toujours sur l'humain, les motivations avouées ou non des uns et des autres ; l'auteur se dévoile jusque dans son intimité à une « époque où l'homosexualité était aussi mal vue par les deux tendances communistes que par les humanitaires ».
J'ai apprécié sa tonalité d'autodérision, son analyse ironique et lucide des évènements, son décryptage des lois du marché humanitaire et de la langue de bois autour de « la sublime cristallisation de la réalité », « le volontarisme fébrile et brouillon » et les divers crêpages de chignons tous plus improductifs les uns que les autres. On le sent vraiment prisonnier d'un système mais désireux de bien faire, plein de bonne volonté et d'idéal, perdu dans des rouages qu'il ne maîtrise pas : « mon aide était donc soit chère et méconnue, soit économique mais clandestine ».
Comment faire de l'humanitaire en n'ayant que des contacts professionnels avec les autochtones ? En effet, pour les cambodgiens, recevoir des étrangers chez eux pouvait gravement les compromettre vis à vis du régime. Comment agir efficacement quand on ne peut pas sortir de Phnom Penh, quand la délivrance des autorisations pour se développer en province prend un temps fou, au bout d'une procédure longue et compliquée ? On nage en plein délire quand « chacun peut faire ce qu'il ne sait pas faire », quand les rivalités entre coopérants sont exacerbées…

L'écriture est fluide, facile à lire ; même s'il y a une progression dans l'ordre des nouvelles, une ouverture, le développement d'une réflexion, il n'y a pas vraiment de montée en puissance. Philippe Vinard a le ton de révéler une ambiance, par touches successives et imbriquées ; ainsi, certains personnages sont récurrents, d'autres disparaissent puis reviennent là où on ne les attendait pas. C'est assez photographique, détaillé, vivant et théâtral à la fois. Dans le dernier récit, il raconte avec pudeur son affection pour le peuple cambodgien, s'inventant une famille de coeur, se demandant ce qu'elle deviendra après son départ.
Naturellement, je me suis interrogée sur le titre de ce recueil, sur la nature des sirènes… La présentation du livres en parle en ces termes : « au Kampuchéa, on le découvre bien vite, la traditionnelle Sirène Dorée du palais royal cohabite avec les sirènes communistes des lendemains qui chantent, avec leurs cousines capitalistes qui attirent la population vers la société de consommation, et bien sûr avec la sirène hurlante qui sonne les alertes ».
Les sirènes sont aussi les femmes et les hommes qui évoluent dans cette étrange société, celles que le personnage de médecin général convoite et poursuit de ses assiduités par exemple, ceux dont le narrateur voudrait se rapprocher... Les protagonistes de ce livre vivent dans un vrai désert relationnel, toujours entre eux, sous surveillance, censurés, et les occasions de rencontrer l'amour sont rares, voire inexistantes.

Ce livre interroge sur les ambiguïtés de l'aide humanitaire et ces questionnements me paraissent toujours d'actualité. Quand Philippe Vinard parle du « cirque quotidien de l'aide humanitaire au Cambodge », de son rôle de bon samaritain mal défini dans un pays non reconnu pris dans une guerre fratricide, il nous place devant les répétitions de l'Histoire quand elle « bégaie » ou « radote » et surtout ne tire pas les leçons du passé.
J'ai apprécié la portée didactique des Sirènes de Kampuchéa ; j'aime quand un livre me pousse à faire quelques recherches personnelles, à prendre un atlas sous les yeux, à me renseigner sur un pan d'histoire.
Cette lecture est une excellente surprise.

#Lsdk #NetGalleyFrance
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