AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Nos cheveux blanchiront avec nos yeux, c'est le titre insolite et non moins onirique du premier roman de Thomas Vinau, que j'ai beaucoup aimé. Mais peut-on ici parler de roman, c'est un journal de bord, une prose poétique, des textes courts qui s'enchaînent dans la fuite d'un temps insaisissable. C'est le voyage géographique et intime d'un jeune homme, Walther, qui part, qui s'éloigne pour quelques temps de sa compagne Sally, enceinte de leur enfant, pour mieux revenir plus tard vers eux.
C'est ainsi que se rythme ce court récit : entre l'espace trop grand où le narrateur s'enfuit sans trop ne savoir où ni pourquoi, et l'espace de l'intime, peut-être d'ailleurs tout aussi vertigineux que les grands lointains, où il revient sur ses pas pour mieux se retrouver avec les siens, la femme dont il s'est éloigné pendant que venait au monde leur enfant. Il y a l'espace du dehors et l'espace du dedans et les deux font écho, comme deux sphères indissociables qui se parlent.
Dans son périple, qu'il soit géographique ou intime, Walther cueille des instants de la vie, il croise des personnages ordinaires et entiers dans leurs existences. Il y a ces pêcheurs qui le soir jouent aux cartes, boivent des bières. Il y a ce chauffeur routier qui le conduit sur un bout de chemin. Il y a cette vieille dame qui l'accueille chez elle à Sète. Il y a les autres...
Son vagabondage l'amène des Flandres jusqu'en Espagne à Gibraltar, en passant par Amsterdam, Prague, Bruxelles, Sète...
Dans ce récit, j'ai senti Walther fragile, aussi fragile que cet oisillon qu'il sauve des griffes d'un chat, qu'il protège tant bien que mal sous son manteau, croyant que c'est un oiseau migrateur, un peu comme lui. Pourquoi part-il ? Que fuit-il ? La peur de l'enfant qui va venir, devenir père, le poids des responsabilités ? Est-il lâche à ce point ? Par moment, ce voyage prend l'allure d'une mélancolie, quelque chose d'inachevé, de lointain ou bien qui n'est pas encore là, comme cet enfant qui va naître bientôt, sans lui à ses côtés.
Non, Walther s'en va pour prendre une forme de distance, mais qui lui permet justement de faire ce pas de côté, quelque chose qu'il faudrait sans doute faire plus souvent dans nos existences accélérées. Partir pour se retrouver seul, cheminer avec soi-même, grandir en même temps et revenir ainsi tout autre pour aborder un nouveau versant de sa vie...
Ce livre parle aussi de l'amour, j'ai presque envie de dire que ce livre parle essentiellement d'amour. Sally est là présente sans cesse dans son cœur de fugitif. Les voyageurs sont ainsi faits, le vrai carnet de bord, ce n'est pas toujours un cahier, un stylo, ce qu'on y mettra, c'est le cœur qui se remplit le soir du manque de l'autre, de l'attente, c'est le dehors qui vient au gisant du dedans, apporter un peu de lumière, éclairer enfin ce qu'on ne voyait peut-être plus ou qu'on n'avait pas encore approché...
Walther est à hauteur d'homme quand il part et revient. C'est comme un balancier, celui du temps qui passe, qui fuit, qui nous manque, qui nous échappe sans cesse comme le sable entre nos doigts furtifs.
C'est un livre qui parle aussi de l'enfance, de la mort, des renoncements.
Même le quotidien est comme le bord d'un précipice où il faut sans cesse retenir ses gestes de peur de trébucher et tomber dans le vide. C'est peut-être dans les grands espaces que Walther se sent le moins désarmé. Mais peu à peu, sans rambarde, sans parapet, Walther s'approprie ce quotidien, son quotidien, même s'il le fait de manière maladroite et attendrissante. Un sentiment immédiat prend le pas.
Et puis il y a l'écriture, ces tranches de vies, ces billets égrenés par Walther, tel un petit Poucet fugitif, égaré dans un monde sans doute trop grand pour lui. Les mots l'aident à revenir au plus près de lui, des siens, retrouver son chemin.
Les voyages ont cette vertu de ramener nos pas à l'essentiel.
C'est un voyage au ras des choses, une errance qui balbutie. Un ciel qui cligne des yeux lorsque nos gestes se hasardent à appréhender les instants du quotidien en cherchant de l'eau et du rêve.
Les mots de Walther sont maladroits, parfois excessifs, inachevés comme une première écriture, mais on les sent sincères, sans cesse au bord des failles, là où passe la vie finalement. Sans les failles, que serait la lumière ? Et sans les mots, que serions-nous ?
Parfois, dans ce dédale, Walther a l'impression que le ciel le comprend brusquement.
Je ressens au travers de ce récit ce que l'écriture fut pour le narrateur, à moins que ce soit le sentiment de l'auteur, une façon de se réconcilier avec le monde. Pourquoi ce monde nous échappe-t-il par moment ? Comment avoir une réelle prise sur lui ? Ce monde est-il fait de sable et de vent ?
Il y a des petits riens qui viennent comme cela, comme le soleil à travers le store, comme une abeille qui agonise au sol... Ce sont les biberons, l'odeur du caca d'un nourrisson dans la salle de bain, le bruit d'un volet qui claque dans le vent. C'est un père qui pousse la poussette d'un enfant. C'est un chien qui se faufile entre les jambes et l'humour aussi « En passant devant le terrain municipal, nous nous imaginons, avec un peu d'ironie, les heures qu'il faudra passer au stade si par malheur il aime le foot. » Ce sont des respirations, ce sont des bleus à l'âme dans les matins de pluie, ce sont nos renoncements, nos rêves qui s'effacent, d'autres chemins, d'autres gestes... Une orchidée sauvage, le soleil qui éblouit... Comment se hisser plus haut, plus loin.
Parfois dans ce quotidien, nous voudrions passer sur l'autre versant. Être une fenêtre pour regarder des deux côtés, l'envers du décor, surtout. Nous sommes toujours entre deux portes, entre deux rives, entre deux vies, entre deux battements de coeur, entre le dehors et le dedans... Entre les couches culottes et le soleil qui crame l'horizon comme un feu follet... Et puis brusquement, le quotidien se transforme en sublime : « Le petit avait faim. J'aurais voulu lui peler le soleil naissant comme un fruit bien juteux. Lui faire goûter la crème épaisse du nouveau ciel. Nous avons joué ensemble, tous les deux, juste avant le jour. Ceux que nous aimons sont en paix. Nous avons le monde à manger. »
Et puis une bande-son se faufile entre les mots qui swinguent dans ce récit poétique, fulgurant, presque sauvage, ce n'est pas désagréable. C'est un air de jazz, c'est un reggae, c'est un rock, c'est une chanson qui me rappelle quelque chose à chaque instant... C'est un dimanche de printemps.
Plus tard, les mots de Thomas Vinau se taisent. Il me reste une bande-son dans les oreilles, mais surtout un voyage intime, avec en filigrane des grands espaces, et qui me trotte encore dans les veines. Une sorte de journal de bord qui nous murmure ce qui est, au dehors et au dedans de nos vies multiples...
Commenter  J’apprécie          4013



Ont apprécié cette critique (36)voir plus




{* *}