AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Quel point commun y a-t-il entre cette adolescente rebelle de seize ans qui riait sous le soleil de l'été 1976 au bord d'une plage de Crimée et cette femme ambitieuse et déterminée, un jour de juin 2012 à Kiev, qui s'apprête à être investie demain aux fonctions de la Présidence de la République de l'Ukraine ?
Il s'agit de la même femme, Olena Hapko, celle qu'on appelle désormais La Chienne. Trente-six ans se sont écoulés, tandis que trente jours séparent encore son élection de la cérémonie d'investiture qui la placera au sommet de l'État.
Olena Hapko a été élue sur un programme ambitieux, le peuple ukrainien lui a donné sa confiance, car elle s'est engagée à lutter contre la corruption qui gangrène son pays.
Dès le début du roman, nous sommes happés sur un rythme effréné par ces deux chemins, ces deux itinéraires qui se croisent comme des lacets, tourmentés et chaotiques.
Trente-six ans après cette journée presque désinvolte sur une plage de Crimée où elle serrait déjà les poings devant le machisme de ses camarades masculins, cette femme savoure enfin sa victoire, son ascension dans le monde des affaires fut très rapide, un itinéraire au passé violent, pas toujours clair, pas toujours loyal envers ses proches, mais il faut savoir jouer des coudes, tenir bon, survivre...
Dans ce marigot infernal, grenouillent les agents des services secrets russes et les oligarques ukrainiens, ceux qu'on surnomme ici Les loups. Quels sont les pires de ses ennemis entre deux maux qui se ressemblent ?
Nous les voyons s'agiter dans l'ombre, et parfois carrément à ciel ouvert, se livrer dans une lutte sans merci pour imposer leur loi et empêcher qu'Olena Hapko accède à la Présidence de l'Ukraine, dirige le pays comme elle le souhaite et surtout comme elle l'a promis dans son programme qui l'a amené à triompher contre le candidat Président sortant, celui-là qui trimballe des casseroles dignes de celles accrochées au mur de la grande cuisine du château de Chenonceaux.
Olena Hapko a 52 ans, elle est intelligente, elle sait qu'elle doit composer avec Les Loups, chacun des deux camps peut y trouver un intérêt, mais elle ne veut pas transiger sur la promesse pour laquelle elle a été élue par le peuple qui est à cran : la corruption. Pourtant, la corruption, autrefois elle y a goûté aussi, avec jubilation... Mais c'était avant...
Bienvenue en Ukraine !
Les ennemis ne sont pas toujours là où on les attend... Ils peuvent aussi être construits, manoeuvrés, instrumentalisés comme des marionnettes par ceux qu'on craignait au départ. Ils peuvent survenir d'un passé qui rattrape le présent, comme une vague de fond qui revient sournoisement.
L'ennemi peut aussi être un cahier d'école, un noyau de cerise qui devient un véritable caillou dans la chaussure, une jeune fille dénommée Katia dont le visage sera défigurée par l'acide. On appelle cela l'effet papillon.
En ce jour de gloire, elle sait que tout peut encore basculer. Il lui reste un mois avant d'être investie. Mais Olena Hapko est forte. Elle est féroce, impitoyable, intelligente aussi et c'est cette dernière qualité qui peut être sa meilleure alliée...
Benoît Vitkine m'a entraîné ici dans un thriller politique totalement addictif. Il y a un scénario politique en effet qui se dessine, qui se construit habilement un peu comme une partie d'échecs durant trente jours où il faut négocier avec ceux qui tiennent le pays et puis il y a une autre histoire en toile de fond, celle qui traverse trente-six ans d'un paysage ukrainien malmené déjà depuis bien longtemps par la grande Histoire.
Mais surtout, dans ce récit incroyable qui en fait aussi sa force et sa crédibilité, Benoît Vitkine convoque des personnages saisissants de vérité et attachants d'émotions. Autour d'une comète fulgurante figurent de très belles étoiles qui ont leur mot à dire et une raison d'être dans ce récit. J'ai aimé ces personnages presque anonymes, Katia Galiouk, son ami Marko, la vieille institutrice Larissa Ivanovna, Semion Moisssenko dit Semion Grandes-Mains allié historique d'Olena Hapko, qui réside désormais dans le quartier d'Obolon où vit ma belle-famille, - ou plutôt vivait avant la guerre... Autant de destins fracassés dans le parcours d'Olena Hapko...
Je me suis demandé si, dans la solitude effroyable du pouvoir, cette femme aimait, doutait, regrettait, avait un coeur qui bat...
J'ai adoré ce récit qui se veut de fiction, mais j'ai bien saisi le message de l'auteur qui connaît bien son sujet. Même si Olena Hapko est un personnage de fiction, ce récit est d'un réalisme sidérant. La fiction sert ici à décrire la réalité peut-être plus féroce encore.
Dans la fiction de ce récit, un personnage réel se détache tirant les manettes de ce scénario comme il le fait encore aujourd'hui, on voudrait qu'il soit fictif, ce Vladimir Poutine au regard d'acier, au sourire de métal, caricature de lui-même sortie tout droit d'un mauvais James Bond, guignol ubuesque et machiavélique qui voudrait réécrire L Histoire à sa façon, j'ai peine à prononcer son nom ce soir.
Quelques temps avant la guerre actuelle, je me souviens que l'Ukraine était encore et déjà une jeune démocratie. Trente ans, c'est encore jeune. Déjà tournée vers l'Occident, l'Europe, elle cherchait à s'émanciper du vieux modèle encore présent, se tourner vers un mode de fonctionnement plus transparent, plus européen, quelque chose non seulement inacceptable pour la Russie, mais en plus, représentant un danger pour la mainmise russe. Ceci explique peut-être la raison pour laquelle Poutine décida de déclarer la guerre à l'Ukraine un 24 février et tenta de fabriquer un alibi qui ne tint pas la route longtemps, sauf malheureusement aux yeux du peuple russe qui gobe comme des mouches tout ce que le pouvoir lui dit, hélas a-t-il le choix... ?
La fin du récit est à la hauteur de ce roman que j'ai vraiment adoré. Benoît Vitkine m'a totalement convaincu dans son propos narratif.
Bienvenue en Ukraine !
C'est le message qui me fut délivré lorsque j'atterris pour la première fois en Ukraine, à l'aéroport de Kiev Boryspil un certain 27 décembre 2014, accueilli par celle qui allait devenir mon épouse...
Elle m'entraîna dès le lendemain sur Maïdan Nezalejnosti, la place Maïdan, la place de l'Indépendance, l'esplanade centrale de Kiev, celle où tout le pays converge à chaque coup chaud... j'y découvrais 109 photos dressées tout autour de la place, des résistants abattus comme des lapins par les snipers russes depuis le toit d'un des grands hôtels qui dominaient la place, l'Hôtel Ukraine, un certain 18 février 2014, lors de la fameuse révolution de Maïdan... Sous chaque photo, des bougies étaient régulièrement allumées. Des femmes pleuraient ici encore, des mères, des soeurs, des épouses... Les larmes me sont venues en imaginant cette résistance d'un peuple si proche géographiquement de nous en 2014 renversant le Président Viktor Ianoukovytch inféodé au pouvoir russe, les larmes me sont venues devant la photo du plus jeune, 17 ans, et du plus ancien, 79 ans... Je croyais entendre à cet instant-là leurs voix, des cris, le bruit des balles, j'ai alors compris que derrière ce pays il y avait une nation incroyable, éprise de solidarité et de résilience. Puis nos pas nous entraînèrent vers la poursuite de cette visite insolite de Kiev, mais là c'est une autre histoire...
Je me suis attaché à ce peuple ukrainien qui m'a adopté. J'avais entendu parler d'un pays corrompu et un soir je me suis retrouvé dans un bus bondé.
À chaque arrêt de station, le passager entrait par l'arrière du bus et tendait un billet pour payer sa place et je voyais son billet passer de main en main jusqu'au chauffeur qui rendait la monnaie et celle-ci refaisait le même voyage en sens inverse... J'ai été épaté par cette scène ordinaire et incroyable. Qui a dit que la corruption était à tous les étages en Ukraine ?
Cette lecture m'a totalement troublé. Elle nous éclaire sur ce qui se passe aujourd'hui dans la guerre d'Ukraine et permet de nous donner quelques clefs de lecture. Puisse la paix revenir au plus vite dans ce pays dont le peuple aspire à une vraie démocratie ! À la paix, à la liberté, à l'amour aussi car des femmes ont fui leur pays, fui des bras amoureux pour se protéger des bombes et de la barbarie des soldats russes...
Commenter  J’apprécie          5820



Ont apprécié cette critique (54)voir plus




{* *}