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Critique de Laurence64


« Quand des tribuns désignent, à l'intérieur des frontières, des boucs émissaires, les foules se tiennent bouche cousue devant les crimes, ou encore se radicalisent, s'amourachent follement des forts en gueule, languissent après un nouveau printemps de génocide. »

Alto Solo, c'est l'éternelle histoire des dictatures. C'est la force brutale, bestiale, stupide et admirée. C'est l'amour des bottes que dénonçait Albert Cohen dans ses pages inoubliables de Belle du Seigneur.
Mais sous les doigts de Volodine, le si grand et discret écrivain, cent vingt sept pages suffisent à conter le combat entre l'humanité aveugle et celle ouverte au monde, refusant la désespérance.
La fable politique se fait romantique, créatrice, poétique, limpide comme un ciel qui vire au bleu parmi la boue des torrents de haine.
Tout l'art de Volodine est d'extraire du chaos et du fracas décortiqués des éclats cristallins.

La ville de Chamrouge est hantée par le frondisme. Ici, la censure règne en tapinois.
Il y a l'art acceptable, abêtissement des masses et tous les autres arts, moins acceptables, ceux qui paillettent les yeux, ébouriffent les plumes, enchantent les oreilles, émerveillent l'esprit. Pas interdits, non. Suffisamment discrédités.

Lorsque les grilles claquent sur quelques années d'incarcération arbitraire, trois hommes débutent leur première journée de libération, journée qui à elle seule emplira le roman. En ce jour de mai, un concert est annoncé où doit jouer la violoniste qui inspire le titre du livre. Elle, elle porte la musique vers les sommets des dieux lorsqu'elle joue pour son amour perdu.

Les histoires se mêlent; il y a le fier voleur de chevaux qui a abdiqué sa liberté, l'oiseau blessé qui se cache, l'écrivain amoureux, la peintre, le clown. Il y a leurs noms aussi beaux qu'étranges, Bieno Amirbekian, Aram Bouderbichvili, Ragojine, Baxir, Tchaki Estherkhan, Dojna Magidjamalian... La magie de l'écrivain Volodine crée un univers à la marge, différent et révélateur, fantastique et réel. Chimérique et vrai. Comme l'araignée qui rampe sur le brassard du parti frondiste.

Volodine ne se contente pas d'une dénonciation du système dictatorial. En ce jour de mai, le parti frondiste a délaissé le pouvoir. Il a remis les institutions légales entre les mains des patriotes-pitres et des sociales-marionetttes. Pour lui, il conserve la rue, la presse. le pouvoir politique social-démocrate est modéré.
Mais derrière cette modération, embusquée, vigilante, la manipulation inconsciente des masses englue la rue de haine, incite à la xénophobie, flatte l'infinie vulgarité.
Vulgarité qui explosera dans un bouquet d'abjections lorsque viendra l'heure du concert programmé et fortement déconseillé. L'art contre le fanatisme politique. La musique contre l'excitation massive. L'élévation harmonique contre le populisme grossier.

Face aux contrées bleues des oiseaux, Volodine peint le tableau criard des masses abêties sans rien omettre de l'horreur de l'oppression. Mais au bout de cette fable, singulière et éblouissante, demeure le rêve, l'espoir, une plume qui lentement retombe, une note qui s'élève.

Et si nous devions défendre notre liberté, quelle place prendrions-nous?
Cent vingt sept pages limpides comme un torrent de montagne, à la beauté chimérique de la licorne ailée, au réalisme lucide. Cent vingt sept pages indispensables.
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