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Critique de si-bemol


Saul Indian Horse, alcoolique invétéré, est en cure de désintoxication dans un centre dont les thérapeutes l'incitent à raconter son histoire, ce qui - selon eux - pourrait accélérer sa guérison. Mais plutôt que de la raconter de vive voix aux autres patients - “je ne peux pas la raconter dans un cercle. Je le sais. Il y a trop à trier et à passer au crible” - il préfère la consigner par écrit. C'est donc à nous, par le biais de ce livre, qu'il la raconte, cette histoire. Et quelle histoire !

C'est, dans les années soixante, l'histoire du peuple indien dans les vastes étendues canadiennes, un peuple de la nature et des mondes sacrés qui communique et danse avec les esprits. C'est l'histoire d'une tribu, celle des Ojibwé, à qui les Blancs enlèvent leurs enfants pour les élever très loin, dans leurs écoles et dans leurs villes. C'est l'histoire d'un peuple ancien dont la liberté, la sagesse, la spiritualité et les traditions sont méthodiquement détruites par le “progrès”, la violence et l'indifférente cruauté de l'homme blanc.

Et c'est l'histoire d'un petit garçon, Saul Indian Horse, qui à l'âge de sept ans, après la disparition de toute sa famille, devra quitter pour toujours ses forêts et ses lacs pour affronter seul l'univers des hommes blancs. Enfermé dans un pensionnat religieux à la discipline militaire qui lui vole “toute la lumière de (son) monde”, contraint à renier ses origines, sa langue, ses croyances et jusqu'à l'essence-même de son être, Saul découvre un monde d'une violence inouïe, tant physique que mentale et spirituelle. Comment continuer à grandir dans cet enfer d'une noirceur absolue, comment envisager de pouvoir, un jour, s'en échapper ?

La découverte du hockey sur glace, pour lequel il se révèle immensément doué, qui fera de lui un joueur de tout premier plan et une célébrité, bouleverse toute sa vie. Sur la glace éblouissante de blancheur des patinoires, sous les applaudissements des foules fascinées par la virtuosité de son jeu, il trace peu à peu, à coups de crosse frappés dans le palet, son chemin de lumière. Mais, au final, le hockey n'est qu'un jeu. Et c'est un jeu blanc, un jeu pour rien, un jeu de l'homme blanc et pour l'homme blanc, un jeu biaisé par le racisme, le mépris et la violence. Un jeu où l'Indien ne peut avoir sa place et auquel il ne peut survivre que dans l'alcool et la déchéance. Ou l'écriture.

Avec "Jeu blanc", l'Amérindien Richard Wagamese, décédé en 2017, signe un livre-testament, un roman autobiographique d'une grande puissance et le témoignage accusateur de la destruction d'un peuple et d'une culture. Une histoire dépaysante et bouleversante qui me laisse avec un mélange d'admiration pour le talent et l'écriture de l'auteur, et de colère envers la supériorité auto-proclamée de l'homme blanc et son cortège de haine, de bêtise et de nuisance.

Un grand livre et, assurément pour moi, une belle lecture.

[Challenge MULTI-DÉFIS 2019]
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