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Critique de SZRAMOWO


Le hasard des échanges sur Babelio m'a permis de découvrir la nouvelle « La dissonance ».
En lisant l'extrait de cette courte nouvelle sur le site EDILIVRES, j'ai eu envie de la lire entièrement.
Les trois premières phrases ne laissent pas indifférent, tant l'écriture parait mesurée, sûre de soi et ne laissant rien au hasard :
« J'avais d'abord voulu posséder un piano. Cela m'avait prise comme ça, dans une existence régulière depuis que j'avais un coeur de métronome. Pencher à droite, verser à gauche, se balancer, croire qu'on s'éloigne, et retrouver une posture initiale. »
La suite ne m'a pas déçue.
« Les pieds rivés, les bras ballants, effleurer le souffle de l'air et se frotter contre le bois. Au départ, j'avais juste eu envie d'un piano pour poser le vieux métronome en bois que j'avais hérité de ma mère. »
Le récit est construit autour de plusieurs boucles hypnotiques qui s'interpénètrent et font intervenir les personnages de l'histoire : la narratrice, sa mère, l'accordeur de piano, la fille de l'accordeur. L'immeuble dans lequel vit la narratrice, sa cour intérieure, le piano, la vieille voisine, apparaissent également comme des éléments ou des personnages clefs du récit.
La description des situations, des choses, des sentiments, des personnages foisonnent de symboles et de comparaisons dont les exemples suivants donnent une idée :
« Les fenêtres de l'appartement donnaient sur la cour de l'immeuble, l'unique brise était celle des murmures des autres gens. »
« …je faisais juste ça, attendre la pluie. Et les livreurs du piano. »
« Et puis j'éprouvais quelque difficulté à soulever ma jambe sur la pédale, autant qu'on en a à fouler le sable dans la chaleur. »
« Lorsqu'il y eut un parfum de larmes dans toute la cour, j'ai cru que toutes les femmes des appartements vastes avaient des goûts de matins abandonnés, et que ça avait forcément à voir avec le sexe, une quelconque faiblesse malhabile. »
« Les mains de l'accordeur retendaient les cordes dans le ventre du piano, il n'y avait aucun autre son que celui de ses doigts qui travaillaient »
« Et mon corps était blanc, avait l'aspect du lait, mais j'étais obligée de lui parler du goût du lait, du rafraîchissement. »
« Longtemps j'ai cru qu'elle était morte ainsi, en vibrant. J'ignorais qu'elle avait déjà vendu son piano et son âme aux diables qui vous parlent de solfège la nuit, finissent immanquablement par se jouer de vous pour le mieux. »
Une fois terminée la première lecture, j'ai eu irrésistiblement envie de recommencer ; de relire une deuxième, puis une troisième fois, pour redécouvrir à mon temps et à mon plaisir l'enchevêtrement des mots, la richesse du vocabulaire, des situations et des personnages.
En effet, si je considère que le récit est construit autour de trois boucles principales, celles-ci, comme dans la théorie des ensembles, interagissent pour former un univers différent.
La première boucle enferme la narratrice et sa mère pianiste, disparue.
« Ma mère avait vendu son piano, elle avait simplement conservé le métronome et le vieux tabouret devenu bancal »
L'absence de la mère, le fait qu'elle a vendu son piano, est vécu comme un abandon que la narratrice veut dépasser :
« …j'avais juste eu envie d'un piano pour poser le vieux métronome en bois que j'avais hérité de ma mère. »
Retrouver le piano c'est retrouver sa mère
« J'avais appris la musique avant de savoir lire et ma mère eut le don du piano, sinon celui des symboles charnels. »
La deuxième boucle enferme la narratrice et l'accordeur. Il est aveugle, marié à une aveugle, il se déplace avec un chien et une canne blanche
La narratrice s'abandonne dans le piano :
« …comme lorsqu'on se dépouille… »
« Je crois que j'ai dû jouer plusieurs jours et toutes les nuits qui suivirent. En fait, j'ai oublié combien cela dura, j'avais fermé les volets et je m'étais également séparée de la grande pendule à balancier. »
Elle s'abandonne à l'accordeur :
« Et puis lui avait toute ma peau dans sa bouche, ça s'entendait quand il parlait, alors il me renversa sur le clavier du piano. »
Le piano est un appel :
« Au début, il attendait que le piano résonne faux pour venir me voir, c'est pour cela aussi que je jouais tout le temps. »
Le piano est un lien avec l'accordeur :
L'accordeur ne voit pas le monde tel qu'il est ; lorsqu'elle joue, elle aussi, devient aveugle. Mais il lui demande plus.
« Il avait exigé que je porte pour seul tissu un bandeau autour de mes yeux, que je m'habille de la nuit. »
Elle entend comme un aveugle…
« Souvent, j'entendais les pas feutrés du chien ou le martèlement de la canne blanche sur la pierre des escaliers, dans le bas des portes, je sentais la paume de sa main le long des murs. »
« Alors je cessais de jouer du piano, j'écoutais ses sons. »
« Les paliers étaient laids, il ne le savait pas. »
La troisième boucle enferme la narratrice, sa mère, et la fille de l'accordeur :
La petite fille fait jouer à la narratrice le rôle de mère lorsqu'elle lui demande de lui apprendre le piano.
– « Je ne t'avais jamais vue.
– Mes parents non plus ne m'ont jamais vue. Dis, tu veux bien m'apprendre le piano ?
La petite fille et la narratrice souffrent d'un même manque. L'absence de leurs parents. La première voit ses parents, mais eux ne la voient pas. La seconde est orpheline de sa mère. le piano est un moyen de les retrouver.
Au-delà de la vision peut-être simplificatrice que j'ai proposée, la nouvelle traite du manque, de l'abandon, de la recherche de l'autre, de la déception, de l'espoir.
Si c'est une première nouvelle. Alors je dis Bravo. Encore. Continuez.

Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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