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Critique de Tempsdelecture



Pour cette rentrée littéraire, les Editions Robert Laffont nous fait une belle surprise en publiant le premier roman traduit en français de Nina Wähä, auteure suédoise, bien connue dans son pays pour avoir exercé ses talents dans d'autres domaines artistiques comme ceux du chant et de la comédie. Elle signe ici une fresque familiale empoignante, celle de la tribu Toimi, singulière à plus d'un titre, tant par l'histoire de sa famille que la diversité des caractères qui la composent.

Parlons d'abord de la forme. Elle se démarque du roman fleuve par la présentation de son récit - avec ses didascalies remarquables au tout début du récit et qui chapeautent chacun des chapitres - qui fait de lui un hybride entre une fiction narrative et un drame en trois actes. Il n'y a pas qu'au niveau de la forme que l'auteur a décidé de pratiquer un mélange des genres tout à fait personnel, elle a également décidé de mêler Suède et Finlande, les deux pays voisins ont toujours eu une histoire liée, et quelques expressions anglaises, qui marquent vraiment un décalage entre la voix narratrice, très présente, et ses protagonistes. Ce mélange de codes, que je n'ai pas eu l'occasion de rencontrer ailleurs que chez Nina Wähä précédemment, est à mon sens une façon inédite (ou peu expérimentée, je n'ai pas la prétention d'avoir tout lu) d'explorer le destin d'une famille sommes toutes semblable à tant d'autres familles finlandaises, exception faite du nombre d'enfants qui est de quatorze enfants, rappelons-le, en comptant les deux aînés disparus. Une façon de souligner, cette tragédie intime, qui s'est joué dans le cadre utérin de la fratrie, par les parents. Tragédie qui reste l'un de ces innombrables accidents de vie qui a frappé d'innombrables familles recluses dans une époque, un lieu de vie et une situation sociale difficiles.

Le fil de l'histoire, je ne l'ai pas lâché d'un bout à l'autre du roman ou plutôt, c'est le fil qui ne m'a pas lâché. Car une fois qu'on a surgi dans la vie des Toimi, bien difficile d'en trouver une voie de sortie. La focalisation interne nous fait passer d'intériorité en intériorité, découvrir chacun des Toimi sous divers angles, tellement différents qu'ils constituent à eux seuls un bel échantillon d'une société finlandaise divisée, fragmentée. Chaque personnage apporte sa vision de ce prisme qu'est cette grande famille. le point de vue des uns, des autres qui défilent dans un récit dense, sans fin, m'a permis d'appréhender les mécanismes de fonctionnement de ce clan, sous le signe d'un père taiseux, d'une sauvagerie qui confine la bestialité, qui domine les siens avec son aura de chef de famille despotique, d'une mère dominée, mais aimante. Il vous faut absolument lire ce texte jusqu'à la fin pour tenter de comprendre ces stigmates qui ont crucifié le père de famille dans le rôle de l'impie, qui ont sanctifié la mère au point d'en faire une sainte, quasiment. C'est bouleversant, terriblement déchirant, encore plus, lorsque ce terrible patriarche incapable de parler, de montrer, d'exprimer, écrit une lettre, une ultime adresse, pour évoquer un passé, celui du couple, oublié, méconnu, différent de celui que le silence des années passées a pu composer dans la tête des rejetons Toimi.


C'est un dénouement à la mesure du reste du texte, qui rééquilibre le couple, brisé, des Toimi : rien n'est parfait, rien n'est beau, rien n'est lisse, encore moins le patriarche Toimi, qui au-delà de tous ses penchants douteux, décédé d'une mort affreuse, parvient à se défaire outre-tombe de ces habits inconfortables et étroits de presque monstre que la fatalité lui a fait endosser. À chaque famille ses drames son membre qui porte en lui une certaine noirceur d'âme, ici, c'est le père et l'un des enfants. J'ai été un peu déçu par le rôle de ce dernier. L'auteure repousse sa description jusqu'à la fin, ce qui m'a laissé penser qu'il aurait une fonction plus décisive, j'en attendais plus de ce personnage, un rôle plus actif, en tout cas, dans la dynamique familiale en marche.

Pleine d'une écriture concrète et précise, aussi solide que les membres de la famille Toimi, parfois volontaire elliptique -car certaines évidences se devinent toutes seules, l'action de l'auteur s'arrête là où commence l'imagination du lecteur qui n'a plus qu'à relier les fils- Nina Wähä a concocté une drôle de tragédie septentrionale, avec ses personnages finement façonnés, qui fait de ces lieux improbables, reclus dans une solitude qui a gelé le passé, les lieux de ces tragédies, qui entachent les familles frappées d'un drame, qui frappe comme une malédiction, qui se perpétue sous le signe du parricide, jusqu'aux générations à venir.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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