Citations sur Baïkonour (57)
Un jour, l’esprit tout entier est dévolu à quelqu’un ou quelque chose, et l’autre, tout se perd. Sont tombées avec moi les reliques autant que les racines les plus profondes, il ne reste plus aucun espace ni pour la mémoire ni pour ses espoirs.
Les morts on les enterre, les vivants on en prend soin.
Au téléphone, il pleure, ponctue chaque fin de phrase par :
- J’aime la Bretagne, j’aime les Bretons.
Comme si, pour une fois, quelque part en France, il trouvait un sens à sa vie.
Elle parle, elle parle, elle ne dit pas grand chose, elle dit juste :
— Je suis marin-pêcheur, enfin marin-pêcheuse plutôt.
La phrase est courte, mais Marcus a l’impression qu’en deux secondes, elle vient de tout révéler. Il l’observe, la marin-pêcheuse, les mains plantées dans ses poches, elle porte sa tête comme un trophée, bien droite, elle regarde loin devant, les yeux grands ouverts. Il y a quelque chose d’une victoire dans ce corps qui va chercher vers le ciel.
Personne ne ressuscite personne. Il se serait réveillé avec ou sans moi. Il n'y a pas, il n'y a jamais de miracle, il n'y a que des vivants ou des morts. Les morts on les enterre, les vivants on en prend soin.
« Contrairement aux apparences, Bernie n’agissait pas seulement par fainéantise .Il avait toujours pensé qu’à trop savoir , l’être humain se ruinait en certitudes, l’oisiveté demeurant ainsi le dernier rempart à certaines dogmatiques et condescendantes certitudes existentielles .
Si Bernard demeurait au chômage , c’était en quelque sorte par respect pour autrui , allant jusqu’à prôner sa posture comme un art de vivre »
À dix-huit ans, le bac en poche, Marcus prit la route de Paris. Pendant trois ans, il avait accumulé un pécule estimable à force de s’user à d’innombrables petits boulots. Chaque jour de vacances y passait. Il s’offrit une formation d’ouvrier de chantier et rapidement se spécialisa. Par nécessité viscérale de changer enfin de perspective, Marcus Bogat devint grutier.
Marcus est intrigué, chausse ses jumelles et fixe longuement le troupeau lumineux. En point de mire, hommes et femmes, une quarantaine, portant à la main lanternes et bouquets de fleurs, une étrange procession qui progresse lentement en direction de la mer. Il imagine de tout là-haut une litanie portée par un champ triste, des mots psalmodiés sur une mélodie aussi paresseuse qu’un poème. Il se rappelle ces cortèges hindous bardés de couleurs et d’ornements qu’il a vus à la télé. A la jumelle, des profils moins exotiques, une idée de la Bretagne saine et robuste, des marins pour ouvrir la marche drapés dans leurs cirés poisseux, des jeunes et quelques femmes dont une, soutenue par des bras solidaires, jolie d’ailleurs, dont Marcus se demande bien qui elle peut bien être.
On lui dit souvent que les grutiers sont des asociaux, bourrus, farouches, lui pense, au contraire, que la plus belle façon d'honorer l'espèce humaine, c'est de prendre le temps et le recul de l'observer.
« Elle est retrouvée.
Quoi ? —-
L’ÉTERNITÉ .
C’est la mer allée
Avec le Soleil . »
« L’éternité » Arthur Rimbaud .