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Critique de Malaura


Quel délicieux roman que celui-ci et quelle belle idée les éditions Libretto ont eu là de redonner ses lettres de noblesse à ce charmant petit ouvrage largement méconnu, écrit en 1824 par la comtesse Constance de Salm (1767-1845) !

« Chacun brille un instant, nul ne brille toujours », disait résignée, celle qui fut pourtant en son temps une célèbre femme de lettres dont les salons réputés accueillaient la fine fleur de l'intelligentsia parisienne. Après avoir brillée de mille feux au sein de l'élite culturelle française du début du XIXème siècle, la comtesse De Salm avait peu ou prou sombrée dans les oubliettes de la littérature. Qu'il est bon pourtant de découvrir l'unique, le seul roman de cette femme moderne, féministe avant l'heure, laquelle n'a cessé tout au long de sa vie de défendre le droit des femmes et prôner leur égalité dans le domaine des Arts en un siècle encore bien frileux en matière de parité artistique entre homme et femme !
Elle n'avait jusqu'alors qu'écrit des ouvrages dits « sérieux » (poèmes, épîtres, tragédies) ; certains lui en faisant reproche, elle répondit par ce court roman épistolaire révélant toute la sensibilité de son caractère et sa grande connaissance des sentiments et des mouvements de l'âme propres à son sexe.

L'exaltation, la ferveur, l'idéalisme qui distinguent communément la première moitié du XIXème siècle, si passionnément romantique, si lyriquement inspiré, nous incitent à célébrer ce roman avec la plus vive ardeur et le plus grand enthousiasme, tant le charme délicieusement suranné de cette oeuvre exquise nous à transportée et conquise !
Constance de Salm y dépeint de façon admirable, avec autant de justesse que de raffinement, les épanchements du sexe féminin lorsque l'Amour a pénétré les coeurs et avec lui la cohorte de sentiments enflammés qui égarent bien souvent les esprits de la plus cruelle des manières si l'on ne leur impose pas un tant soit peu de raison.
Mais la raison est-elle seulement possible lorsqu'on est à ce point épris que mille petits tourments viennent aiguillonner le bonheur d'aimer et d'être aimé et «qu'une secrète anxiété se mêle à l'enchantement de la passion » ?

« L'amour est la chose la plus douce et la plus amère "… L'héroïne de « 24 heures d'une femme sensible » va éprouver en l'espace d'une nuit et d'une journée, tout ce que recèle d'âpre et de sucré, d'amer et de doux, ce proverbe d'Euripide, et tout ce que l'amour peut inspirer de fièvre, d'ardeur, de crainte, de fougue, d'incertitude et de tourment lorsque le poison de la jalousie vient infecter la plus petite parcelle de l'esprit.

Au terme d'une soirée au concert, l'amant de la dame est parti en calèche avec une autre, la belle et coquette Mme de B. ! « Et seuls, seuls dans une voiture ; les vêtements se touchent, les mains se rencontrent, on respire le même air ; on est homme, on est femme…Ah !... »
Dès lors, éperdue d'amour et de doute, cette femme sensible et passionnée, imagine le pire, et ne sachant que faire pour apaiser ses inquiétudes, se met à écrire à l'amant peut-être perdu.
44 lettres rédigées le long de ces 24 heures entachées de désespoir, d'attente, d'espérance, dans lesquelles elle livre tout de ses émotions, de ses pensées, de ses faiblesses.

Tout le registre de la passion amoureuse s'exprime dans ces lettres, les atermoiements du coeur, les errements de l'âme, les questionnements, les supplications…Les moments d'abattement alternent avec l'emballement des sens, la révolte de l'orgueil outragé succède à la résignation du coeur meurtri, le désir de pardon et d'oubli vient ponctuer le sentiment de l'honneur bafoué…et les tentatives de raison garder sont vaines car la jalousie, mauvaise conseillère, pare chaque agissement de l'être aimé des couleurs blafardes de la trahison et de l'infidélité.
C'est la leçon morale que Constance de Salm tente de transmettre au fil de son ouvrage, montrant dans cette représentation excessive des transports amoureux, jusqu'à quelles extrémités peuvent conduire les égarements de la passion et les conséquences plus ou moins graves qui peuvent en résulter.

Le ton vif, lyrique, emporté, les sentiments exacerbés, poussés à leur paroxysme, offrent un vrai bonheur de lecture, enivrant, tonique, vivifiant.
Certes, un lecteur de notre époque, si désespérément tiède dans la formulation et l'expression des sentiments, pourrait être un brin décontenancé face aux débordements excessifs de ce personnage féminin qui se pâme, pleure, rie, tremble, gémit, se meurt, se languit et passe par toute la palette des sensations les plus vives.
Mais c'est justement là, dans cette démesure, cette emphase, cette souveraineté du coeur sur l'esprit et la raison, que réside l'effet proprement exaltant et enthousiasmant de ce petit roman. Ce caractère insensé que l'amour inflige à ceux qui en sont atteints. Car qui n'a jamais vécu ces moments de crises, ces instants de doute et d'incertitude où tout ce qui lie deux êtres épris l'un de l'autre semble irrémédiablement compromis ? La passion n'a pas d'âge, quelle que soit l'époque elle conserve toujours la couleur rouge du feu qui la consume. Constance de Salm, en femme avertie, l'a remarquablement saisi.
« 24 heures d'une femme sensible » est une peinture du coeur féminin qui, par la pétulance et l'aisance d'un style plein de ferveur, réussit à ravir follement les esprits.
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