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Interview d'Eric Salch, lauréat du prix Ouest-France/Quai des Bulles 2023
Résidence autonomie : humour et fin de vie 

Article publié le 22/12/2023 par Guillaume Teisseire

 

 

Eric Salch, auteur (entre autres) des Lookbook et d’une adaptation toute personnelle des Misérables en bande dessinée, a publié cette année Résidence autonomie aux éditions Dargaud, récompensé en octobre 2023 par le Prix Ouest-France/Quai des Bulles à Saint-Malo.

Dans cet album documentaire drôle et sensible, il pousse la porte d’une « résidence autonomie », un établissement d’accueil pour les personnes âgées, antichambre de l’Ehpad. Il nous dévoile le quotidien de Marc, agent social chargé de prendre soin des résidents la nuit. S’il n’a rien perdu de son trait ricanant de sale gosse qui dessine au dernier rang, Eric Salch porte ici un regard parfois touchant, parfois cruel, mais toujours honnête sur les mille anecdotes qui font la vie des pensionnaires et des agents de ce type d'établissement. Il a répondu à nos questions sur cet album, que le lecteur wooter a lu comme « une belle dédicace aux travailleurs sociaux ou apparentés qui s'occupent des ancêtres dont on ne veut plus ».

 

Salch recevant le prix Ouest-France/Quai des Bulles à Saint-Malo

 

Comment est né ce livre ?

Tout part d’une discussion avec un très bon ami - que j’ai rebaptisé Marc dans l’album - qui me raconte qu’il a décroché un job dans une résidence autonomie. Et on en reparle, régulièrement, comme on se raconte des histoires de boulot entre amis. Jusqu’à ce que je me dise que ça ferait un bon sujet pour un album. Je lui ai alors proposé de transposer tout ce qu’il me racontait en BD. Il n’était pas très chaud au début, mais sa famille a fini par le convaincre.


Et qu’est-ce qui a fait que vous y avez vu une matière pour une BD ?

En premier lieu, parce que toutes ses histoires étaient très drôles. Il y avait vraiment un truc à raconter. Et puis parce que c’est un sujet dont on ne parle pas du tout. Sur le papier, ça n’intéresse personne. Mais moi, j’étais curieux de savoir comment ça se passait dans ces établissements. D’autant plus qu’à titre personnel, c’était une découverte complète. Mes parents ne sont pas en résidence autonomie ni en maison de retraite. J’ignorais tout de cet univers.


Comment avez-vous travaillé tous les deux ?

On échangeait à peu près une fois par semaine. Il racontait, et je prenais des notes. Ma chance, c’est qu’il a une excellente mémoire : tous les dialogues sont authentiques. Je notais, et une fois que j’avais assez de matière je pouvais commencer à scénariser, à mettre en forme et en chapitres, en essayant d’en faire quelque chose d’amusant à lire.

 

Lui faisiez-vous valider les épisodes, une fois traduits en BD ?

Je lui ai soumis les premiers pour avis, mais une fois que j’ai eu le truc en main, j’en ressentais moins le besoin, et c’est devenu plus sporadique.

 



Qu’est-ce qui vous a conduit à cette construction en chapitres, plutôt qu’un récit linéaire plus chronologique ? 

Il n’y a pas vraiment de temporalité dans le livre. Quand je fais un livre, j’ai besoin de m’amuser, de changer de thématique. J’aime me dire qu’après un chapitre sur les agressions sexuelles, par exemple, le suivant portera sur les déambulateurs, pour changer d’idée et d’approche. Je le fais pour moi, mais aussi pour le lecteur, en espérant que cette construction lui épargne l’ennui.
 

Avez-vous dû demander des autorisations, aux résidents ou aux responsables ?

Pas du tout : tout ce qui se passe dans le livre est 100 % vrai, mais les lieux, les noms, les visages des personnages sont inventés.
 

Y a-t-il eu un travail de documentation ? Vous êtes-vous rendu dans l’établissement de Marc, ou dans d’autres ?

Non, je suis parti de photos de résidences autonomie trouvées sur Internet. Mais j’ai tout inventé, dans le respect évidemment de ce que me racontait Marc. L’enjeu, c’était d’être crédible, et cette documentation me suffisait pour ça.
 

Et qu’est-ce qui vous a conduit à ce choix graphique du noir et blanc, réhaussé de touches de couleurs vives ?

J’aspirais à quelque chose de reposant pour l'œil, afin de faciliter la lecture. Plus que dans mes précédents livres, en tout cas. J’aime bien l’idée de prendre un peu le lecteur par la main. Et ces nuances de gris rendent un côté un peu clinique, carcéral, qui collait bien avec le sujet.

 

 

Y a-t-il des épisodes que vous avez hésité à mettre dans l’album ?
 
Le vieux qui pisse dans les couloirs, je dirais. Il y en a sûrement d’autres, mais c’est celui-là qui me revient. Je m’étais dit : ils ne vont pas me croire, ils vont penser que j’invente. Ça va quand même loin, là. Mais à la réflexion, je ne me suis jamais censuré. Si c’est la réalité, il n’y a pas de raison que je l’occulte.

Ce que je n’ai pas mis, c’est ce qui n’avait pas à mes yeux de portée universelle. Des anecdotes trop spécifiques, des histoires de village, dans lesquelles le lecteur ne se retrouverait pas forcément. Mais si c’était choquant, ou violent, ça ne me posait aucun problème de le montrer, je n’ai jamais cherché à préserver les sensibilités.

 



Avez-vous eu des retours de personnels d’Ehpad ou de résidence autonomie sur l’album ?

Oui, c’est pas mal arrivé, en dédicace. Et à chaque fois, ils me disent s’y retrouver, que c’est vraiment leur vie. Ce qui n’est finalement pas surprenant, dans la mesure où rien dans le livre n’est inventé.



On a beaucoup lu (et c’est une bonne chose) sur la maltraitance des personnes âgées dans ce type d’établissement. Mais votre album montre aussi l’humanité des gens qui y travaillent.

Il y a un sérieux manque de moyens, mais quand même pas mal d’humanité. C’est ce que je me disais en faisant le livre : ces vieux ont eu de la chance de tomber sur des gens comme Marc ou son collègue Hamad. C’est un peu la roulette russe : il doit évidemment y avoir de la maltraitance dans certains établissements, mais je ne suis pas tombé dessus pour cet album.

Si vous êtes vieux et que vous tombez sur un mec sympa et marrant comme Marc, ça peut changer votre quotidien. Ce qu’il me disait, c’est que dans le fond, les vieux n’ont qu’une envie : s’amuser.  


On voit aussi dans le livre comment le personnel s’arrange un peu avec le règlement, pour le bien des résidents.

Oui, c’est un peu dans la nature de Marc de faire comme il l’entend. Et il a raison. Je le rejoins quand il dit qu’il vaut mieux passer du temps à parler avec les vieux plutôt qu’à désinfecter des rambardes pendant des heures. Ces gens-là ont tous 90 ans ou plus, et la plupart ont envie d’en finir. Qu’ils partent avec un covid ou pour une autre raison, ça ne changera pas grand-chose. Il vaut mieux passer du temps avec eux. 


Le livre s’est-il toujours appelé Résidence autonomie ?

Oui, c’était le titre le plus évident pour moi depuis le début. J’aime beaucoup le travail du documentariste américain Frederick Wiseman. Et j’aime l’idée que s’il fait un documentaire sur un zoo ou un sur un hôpital, il l’intitule tout simplement Zoo ou Hôpital. On entre dans l’hôpital, et on n’en sort plus. Et ça parle de tout ce qui s’y passe, absolument tout. C’est cette démarche qui m’a inspiré.



Et quels sont vos projets ?

L’approche que j’ai eue sur Résidence autonomie, c’est certainement quelque chose que j’aimerais reproduire à l’avenir, avec d’autres univers. Mais pour l’instant, mon actualité, c’est un nouveau Lookbook, à paraître le 18 janvier prochain, aux éditions Les Echappés : Le Lookbook du maintien de l’ordre. Dans la lignée des précédents, mais avec un angle particulier : ça balaye tous ceux qui se sont retrouvés en face dans les manifestations, du CRS au préfet en passant par les Gilets jaunes, la société dans son ensemble en somme.

 



Découvrez Résidence autonomie d’Eric Salch, publié aux éditions Dargaud

 

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