Mathieu Bertrand (II)

— Quelque chose m’intrigue. Je ne comprends pas pour quelle raison Saint-Germain ne m’avait pas communiqué la feuille sur laquelle est retranscrite son écriture automatique.
Le prêtre leva les bras pour observer le document qu’il tenait entre les mains. Il l’avait presque oublié. La réponse à l’interrogation de monseigneur Ferron lui parut évidente : il n’avait pas confiance en lui.

— Mon père, que savez-vous des pyramides ?
— Des pyramides ? répéta Kaminsky, surpris par la question.
Clairement, presque rien ! Elles ont été construites il y a plusieurs milliers d’années et ont demandé des ressources énormes pour être édifiées. Voilà tout ce que j’en sais…
— Comme la plupart des gens, et c’est normal. Je vais donc vous demander d’écouter attentivement les propos de nos deux visiteurs.
Puis, se tournant vers David Jameson, il termina par un simple : « C’est à vous, docteur. »
Ce dernier observa un instant le prêtre qui lui faisait face avant de débuter son exposé.
— Pour commencer, je voudrais que vous ne perdiez pas de vue qu’à la période durant laquelle aurait été construite la grande pyramide de Gizeh, l’homme, sur une grande partie de la planète, se promenait presque nu et n’avait que des outils rudimentaires. La plupart de ces peuples ne connaissaient même pas encore la roue.

— Monseigneur, tout cela est intéressant, voire surprenant, mais je ne comprends toujours pas ce que je fais là.
— Disons que vous allez nous aider à décrypter un message qui vient du passé, répondit l’archevêque, un sourire énigmatique dessiné sur le visage. Les deux personnes ici présentes sont en train de vous expliquer tout ça pour la raison suivante : les plus grands architectes et ingénieurs-structure de la planète, malgré tous les moyens techniques et technologiques qu’ils détiennent aujourd’hui, n’arriveraient que très difficilement à refaire un tel monument. Et même s’ils y parvenaient, ils ne réussiraient pas à atteindre la précision au dixième de millimètre que les Égyptiens ont obtenue dans la chambre basse de la pyramide.
— Et tout ça, je le répète, à une époque où l’homme n’avait que des outils rudimentaires, précisa de nouveau l’enseignant d’Oxford.

— (...). Je vous disais donc, mon père, que nous nous interrogions sur les méthodes employées autant que sur les délais de construction. Mais au-delà de ces questions, certaines techniques paraissent surprenantes. Par exemple, il faut savoir que la grande pyramide a huit faces. Celles que l’on voit et qui sont toutes quatre divisées en deux en étant incurvées.
Malheureusement, ça n’est visible que du ciel et lors des équinoxes. Si l’on ajoute à tout ça que cet édifice a traversé trois tremblements de terre sans bouger du moindre millimètre grâce à une construction antisismique, vous reconnaîtrez que tout ça interpelle.
Kaminsky profita de la pause dans le discours du docteur Jameson pour s’adresser au cardinal Ferron :
— Monseigneur, tout cela est intéressant, voire surprenant, mais je ne comprends toujours pas ce que je fais là.

— Ce que vous ne savez peut-être pas, en revanche, c’est que tous les égyptologues sont d’accord pour reconnaître que cette grande pyramide aurait été construite en vingt ans. Ce qui veut dire que les constructeurs de cette époque auraient réussi à extraire deux millions de blocs de pierre, pesant pour la plupart entre douze et soixante-dix tonnes, dans des carrières à neuf cents kilomètres de la construction. Ils les auraient ensuite déplacés, taillés, hissés et ajustés au millimètre près. Si l’on fait le calcul, à raison de douze heures de travail par jour et ce, sept jours sur sept, ces hommes auraient réussi à placer des blocs de cette taille à raison d’un toutes les deux minutes. Qu’en pensez-vous, père Kaminsky ?
— Il faut reconnaître que c’est surprenant, vu l’époque à laquelle ça s’est passé.

— (...). Au-delà de tout ça, il demeure bien d’autres interrogations quant à la construction de cette grande pyramide. Par exemple, dans les années soixante, le chantier d’Abou Simbel, grâce à la participation d’une vingtaine de pays, a permis de rehausser le temple de Ramsès II pour éviter qu’il ne soit recouvert par les eaux du lac Nasser à cause de la construction du barrage d’Assouan. Avec des grues et des camions, ils ont mis plus de quatre ans pour déplacer deux mille deux cents blocs.
— Alors que les Égyptiens, en vingt ans, en ont déplacé deux millions ! Je reconnais que ça pousse à s’interroger sur le nombre d’ouvriers et sur les techniques employées, confirma le prêtre qui, progressivement, tendait l’oreille avec un intérêt croissant pour les propos du docteur.

Le prêtre réfléchit. Si le Vatican envoyait le service des enquêtes spéciales à Paris, cela signifiait que la théorie des pyramides était prise au sérieux par le saint-père et que ce dernier voulait mettre la main le plus rapidement possible sur cet éventuel secret, sous réserve qu’il existe réellement. Si ce qui était caché dans les cathédrales confortait ainsi la Genèse telle qu’elle était rédigée dans les Saintes Écritures, cela permettrait de confirmer qu’il n’y avait eu qu’une seule humanité, la nôtre, et que les édifices égyptiens avaient bien été construits trois mille ans avant Jésus-Christ. La véracité de l’Ancien Testament, base historique des plus grandes religions monothéistes, serait ainsi préservée.

— Vous avez bien entendu. Nous présumons que depuis bien longtemps, des cycles de vie naissent et disparaissent sur Terre.
Peut-être en raison d’un cataclysme, d’une guerre nucléaire, d’une maladie, nous l’ignorons… Néanmoins, c’est comme si la Terre décidait, à l’instar d’un ordinateur, de faire un formatage et de tout recommencer à zéro.
— Ce… ce n’est pas possible, vous délirez ! Si tel était le cas, ça voudrait dire que…
— Eh oui, le coupa l’archevêque, ça voudrait dire que la Bible est en partie un tissu de mensonges, en commençant bien entendu par la Genèse. Vous avez bien compris, père Kaminsky.
— Comment savez-vous tout ça ? Vous avez des preuves des théories que vous avancez ?

Trois personnes étaient assises l’une à côté de l’autre. L’une d’elles invita Kaminsky à s’installer :
Il s’approcha et tira sur un fauteuil pour s’y asseoir. S’il n’était pas timide, l’endroit l’impressionnait. Ou plutôt l’ambiance qui y régnait. Son interlocuteur attendit un instant qu’il soit installé pour s’adresser à lui. Après quelques secondes, les yeux du visiteur s’étaient accoutumés à l’absence de lumière. Il put enfin dévisager les trois personnes qui lui faisaient face et étaient placées tel un tribunal qui s’apprêtait à rendre un jugement.

Paul revit la scène de l’aéroport de Jérusalem. Alors qu’il s’apprêtait à embarquer sur le vol à destination de Rome, un appel téléphonique du Saint-Siège lui avait demandé d’annuler son voyage de retour et de prendre le premier avion pour la France. Sans aucune précision. Il devait se rendre à l’archevêché de Paris et obéir aux consignes du cardinal Ferron. Rien de plus.