Citations de Arolf et Ereg (55)
Des larmes de douleur et de désarroi me brouillent la vue. J’ai l’impression de crever. Mais je trouve dans cette perspective un réconfort qui m’effraie, la miséricorde face à un amour trop injuste, trop puissant, qui me ravage depuis trop longtemps.
Quand on marche dans le noir, on se demande toujours sur quoi on va tomber. Mais quand on marche dans le noir avec un type comme Clem, on se demande si c'est lui qui va nous tomber dessus.
— Tu sais ce qu’on dit, intervient-il avant moi. La vengeance est un plat qui se mange froid. Je n’en ai pas fini avec toi.
OK blondinet, on oublie les excuses. Je me rappelle mieux pourquoi son nez est boursoufflé.
— Si tu veux. Mais si ça peut te réconforter, ta nouvelle voix te donne un petit côté star américaine, je souris avec moquerie. Toi qui rêves d’être dans la lumière, lance-toi !
Nicolas me répond par un doigt d’honneur. Je jette un coup à la pendule et contourne le bar. Il est l’heure pour moi d’aller bosser.
— Camille, attends.
Je me retourne instinctivement vers lui. J’ai à peine le temps de le voir debout devant moi, qu’une douleur cinglante dans l’entrejambe me coupe le souffle.
Bordel de putain de merde !
— Là, elle sera vraiment de travers, termine-t-il avec suffisance.
Il referme la porte du placard du bar qu’il m’a envoyée dans le service trois-pièces.
— Espèce de sale petite merde ! je grogne.
Incapable de rester debout, je prends appui sur le bar. Je vais l’exploser, réduire son visage tout entier à un ballon boursoufflé et sanglant ! Va crever, Nicolas Stevenson !
Son rire fier résonne dans l’appartement quand il quitte la cuisine, et je me promets une chose : plus jamais je ne le laisserais m’attendrir.
- La prochaine fois que tu prends un bain, je jouerai les maîtres-nageurs ! lance-t-il alors que je retourne dans la maison.
Je me tourne vers lui.
- Tu vas me surveiller depuis une chaise haute, avec ton paquet moulé dans un slip de bain ?
- Non, ce bain, je le prendrai avec toi.
Il mène la cigarette à sa bouche. Cette même bouche qui vient d'envahir la mienne.
- En fait, t'as juste besoin d'une excuse, je rétorque, agacé. Le livreur doit vraiment te manquer.
- L'excuse est pour toi, pour t'aider à supporter l'idée.
- C'est ça.
Il lâche un rire depuis la terrasse. Un rire que je sens se prolonger dans les recoins de ma bouche, vibrant contre mes dents et se faufilant dans ma gorge. Là où une part de Jordan vient d'emménager.
Je déteste qu’il me regarde comme ça.
Je déteste qu’il soit si inquiet pour moi.
Je déteste que ça me fasse plaisir.
— Je n’ai jamais prétendu être crédule, réponds-je en contournant un arbre. Un rêveur n’est pas berné par le monde qui l’entoure, autrement, il n’aurait pas besoin de rêver.
— C’est la nature humaine qui m’intéresse.
— La nature humaine ? Qu’est-ce qu’elle a de si passionnant, la nature humaine ? L’être humain n’est qu’un prototype défaillant, une version pas finie et bourrée de défauts.
Car c’est ça, le plus important. Pas la vérité, mais ce que les gens sont prêts à croire.
Ses paroles trouvent un écho dans mon vécu. Qu’on le veuille ou non, il a raison sur ce point. Les gens se foutent de savoir ce qui est juste ou non, vrai ou faux. Tout ce qui compte, ce sont leurs convictions. Ou plutôt, ce qu’ils ont choisi de croire.
— Je croyais que vous ne deviez pas parler, argue-t-il.
— Alors arrêtez de me répondre.
— T’es allé où sans indiscrétion ? l’interrogé-je.
— C’est indiscret.
— Alors, t’es allé où, avec indiscrétion ?
Comme tout ce qui fait de nous des adultes aguerris, ou ce qui prétend l’être, on l’apprend à nos dépens, avec l’expérience. Et par expérience, j’entends les beignes que nous fiche ce long fleuve tumultueux qu’est la vie. Car c’est bien connu, les bleus sont plus efficaces que les caresses quand il s’agit de retenir une leçon.
Mon corps est parsemé de ces hématomes invisibles à l’œil nu qu’on se plaît à appeler maturité. Mais ces traumatismes me permettent aujourd’hui de ne pas me débiner et d’assumer le rôle que le destin m’a assigné.
Chacun de nous a son passé renfermé en lui, comme les pages d’un vieux livre qu’il connaît par cœur et dont ses amis pourront seulement lire le titre.
Je ne peux plus compter sur mon imagination pour repousser mes démons, car mes démons ont bouffé mon imagination.
Tu ne dois pas t’empêcher de fréquenter quelqu’un par crainte de le perdre.
Le soleil perce les nuages quand je démarre le moteur. Ses rayons se défragmentent sur les arbres gorgés d’eau du domaine, faisant briller les gouttes de pluie comme un millier d’étoiles. Tandis que je m’engage sur l’allée, je ne prends pas la peine de lancer un dernier regard nostalgique dans le rétroviseur. J’ai passé suffisamment de temps tourné vers hier. Alors, l’esprit dirigé vers demain, je franchis le portail d’Apple Ridge pour la toute dernière fois.
La vérité, c’est que je reste ici parce que j’apprécie sa compagnie plus qu’il ne supporte la mienne. Quand Hunter est dans les parages, j’arrive à trouver un sens à ce que je fais. Je me sens un peu moins égaré, un peu moins inutile, un peu moins dévasté, un peu moins coupable. Et moins seul.
Avec Hunter j'arrive à faire taire mes angoisses. Son calme à toute épreuve me contamine et m'aide à garder les pied sur terre.
Depuis tout petit, j'observe le monde à travers une loupe où chaque détail m'apparait aussi clairement que s'il était analysé par un microscope. Je suis attiré par les énigmes. Tout ce qui est difficile à comprendre, tout ce qui ne s'explique pas, tout ce qui me titille les méninges me fascinent.
« Même s’il s’agit d’un acte d’amour, quand le désir de meurtre domine un homme, il n’épargne personne, pas même ceux qu’il aime. » R.J Hunter
La violence a toujours mieux marché avec moi. C'est à elle que j'aurais dû faire confiance. La diplomatie n'est qu'une salope aguicheuse.