Ce basculement qui paraît drastique n’est en fait, qu’un changement de perception puisque la Réalité, elle, ne change pas. La Vie continue, elle suit son cours. Elle devient toutefois vécue à partir du cœur de la Vie, silencieux et ouvert. Cet espace du cœur, lorsqu’incarné, se manifeste par une douce tranquillité découlant de l’évidence qu’à partir de la Conscience, tout est possible et rien n’est nécessaire.
Lorsque l’appel se fait insistant, que la confiance en le Divin est suffisamment grande ou que l’épuisement à lutter s’installe, il devient envisageable de se laisser consciemment emporter vers le centre, vers l’inconnu. Le mouvement vers le centre se produit à travers le risque d’ouvrir son cœur à être vulnérable et touché par la Vie. Ce cœur maintenant ouvert est plus intime que le « moi », c’est le cœur non-protégé de l’âme. Le mouvement vers cette vulnérabilité nous approche ainsi non seulement de l’âme mais aussi de l’Intime, du « grand », de la Conscience, de cet espace infini qui n’a rien à protéger. Il est à la fois plus intime que le « petit » puisqu’antérieur à la contraction du « moi », et plus vaste puisque libre des concepts de séparation. Il est le cœur de ce que « je suis ».
L’arrêt dans l’ici maintenant surprend. Il fait peur. Il est hors de contrôle. Il est dans le non-faire puisque la Vie est déjà. L’arrêt dans l’ici maintenant, avec vulnérabilité et ouverture, vient avec le risque de ressentir le courant de la Vie qui me porte et qui me dirige inexorablement vers le profond mystère antérieur au « moi », celui de l’Être. Si par exemple, on comparait le « moi » à un des multiples grains de sable accumulés dans un entonnoir, l’élan du « moi » de se maintenir en mouvement horizontal dans le temps avec le soutien de la cohésion des autres « moi », relèverait de la survie. Ce faisant, il arriverait plus ou moins efficacement à reporter sa chute inévitable vers le centre perçu comme une mort qui l’attendrait.
L‘Éveil spirituel produit un changement radical de la gravité de l’attention. De l’attraction à l’idée du « moi » et à son histoire dans le temps, elle passe à la gravité verticale de maintenant, profond Mystère, espace infini et silencieux, où rien ne manque pour Être. Ce changement de gravité implique un abandon irrévocable du cœur à la Réalité telle qu’elle est. Elle constitue un basculement définitif de l’identité séparée du « moi » vers l’évidence de l’Un, Conscience universelle, au centre de ce que « je suis », qui est beaucoup plus intime à soi que toutes les histoires que le mental raconte afin de maintenir une séparation avec cette douce Unité, vivante au-delà du rêve imaginé des idées.
Cette douce Présence est offerte à chaque instant lorsque le « moi » prend le risque de s’y déposer humblement. A travers cet abandon au plongeon dans l’inconnu, le « moi » peut réaliser que lui aussi, n’a rien à protéger et qu’il est déjà complètement porté et uni à la Vie. Contrairement à ce que peut percevoir le « moi » qui peut appréhender la désidentification à son histoire comme sa propre mort, le passage vers la Réalité offre plutôt la grande détente d’exister en tant qu’âme unifiée et libre de l’Être.
C'est lorsque je m'ouvre à la Réalité sans condition, que je m'offre le merveilleux cadeau de rencontrer la Vie elle-même, la Conscience d’amour, créatrice de toute expérience.
Le vécu du « moi » est une course folle dans le temps. Une course qui a un but, n’importe lequel, en autant qu’il préserve son identité, et autant que possible, qu’il en récolte des gains, en amour, en valeur, en réussite, en sécurité. Pour arriver à courir quelque part ailleurs que maintenant, il a besoin de se projeter dans un avenir inexistant. Sans cette projection mentale imaginée, sa course s’arrête ici.
Le passage vers le centre, comme dans l’image de l’entonnoir, est inévitable pour tout humain. Le passage peut prendre la forme de la mort du corps physique mais il peut tout aussi bien être issu du questionnement définitif sur l’idée et l’agitation d’un « moi » séparé de la Vie.
L’Éveil spirituel est la réalisation profonde et définitive que la Vie est fondamentalement Une, avant tout discrimination, et qu’elle se manifeste toujours en tant que la Réalité telle qu’elle est, ici et maintenant.