Mon père lisait son journal tous les jours. Un quotidien au titre écrit en lettres gothiques, comme celui du Monde (je ne me souviens plus du nom). Je le voyais plongé dans la lecture de ces grandes pages grisâtres, rébarbatives, imprimées en tout petit et sans images. Je me disais : "Il faudra que j'en fasse autant que je serai grand.". Parce qu'un homme, ça doit lire le journal. Et ça me déprimait rien que d'y penser. En plus de ça, j'avais honte d'être déprimé. Un vrai cercle vicieux. Maintenant que je suis grand, je réalise avec la même honte que je n'ai jamais été foutu de lire le moindre quotidien, quel qu'il soit, de manière régulière. Je vois des copains se balader avec un canard sous le bras, et j'ai honte. Ça prouve que, malgré mon grand âge, j'ai au moins conservé quelque chose de la pureté de mon enfance : la honte.