Kleo

Je me promène dans les jardins du palais. La nuit tombe, Samout n’aime pas que nous sortions à cette heure, car c’est à ce moment que le terrible Apophis nous capture et nous englouti à jamais dans les ténèbres. Mais Mère me répète que je ne crains rien, je suis la Fille de la Lune et je peux déambuler dans cette noirceur.
Alexandre m’accompagne : nous sommes à la recherche des chatons de Sothis, la chatte de Mère qui a mis bas des petits depuis maintenant deux mois et nous avons eu l’autorisation d’en choisir un, rien de mieux que la nuit pour les trouver. Mon frère et moi-même, unis depuis le ventre, les inséparables.
Pourtant, tout nous oppose : il est le soleil, moi la lune ; il est blond et moi brune, il a le regard émeraude des grecs et de Mère tandis que moi mes yeux sont sombres comme ceux du Taureau puissant…
La lumière et la nuit : les jumeaux

La vie n'est qu'un simple songe, Petite Lune. Les roses peuvent être meurtrières. Ne te détourne pas du bien. Il reste du bien dans ce monde obscur. Toi seule peut faire rejaillir la lumière dans les ténèbres... tu dois voguer entre l'ombre et la lumière.

Il se dirigea alors vers la couche de sa femme, et s’installa près d’elle, toujours avec le bébé dans les bras. Il prit la main de son épouse et regarda sa fille blottie dans ses bras musclés, ses yeux s’émerveillaient devant cette enfant et il prononça pour la première fois son prénom :
Mérytamon, la bien aimée du Seigneur des deux terres.
La petite fille ouvrit ses yeux, en amande sur son père. Ils brillaient du même éclat que ceux de sa mère. Il s’en attendrit, des larmes perlaient au creux de ses paupières, Mérytamon était le symbole de leur amour éternel.
Il se fit une promesse.
Les deux femmes de sa vie vivront envers et contre tous…

Qui aurait prédit ce que je deviendrais ?
Je suis une ancienne princesse lagide, déchue pour devenir une esclave dans cette cité. Cependant, mon chemin ne s’est pas arrêté là.
La Canidia, l’horrible femme aux cheveux détachés et hirsutes, au teint pâle et blême, porte une robe noire et marche pieds nus. Imaginez- là, elle est tellement laide qu’elle effraie les passants et terrifie les enfants. Ne vous promenez surtout pas la nuit, c’est à ce moment-là qu’elle déploie ses armées de l’ombre…
Hiboux, chouettes, chats et loups sont ses seuls véritables amis.
Voilà ce que j’ai lu, voilà ce que j’en sais…

Je lui jure alors que moi, la petite reine, fille de sorcière, comme ils me nomment, ils ne me détruiront pas. Ils se pensent supérieurs à nous, à tous ces peuples, car ils maîtrisent l’art de la guerre, de la corruption et de l’intimidation. Ils ne savent pas ce dont je suis capable, ils ne savent pas que les dieux sont en moi et qu’ils me guideront. Je réalise soudain, en observant la terre sacrée s’éloigner, que j’ai tout perdu : mes parents, mes amis, ma cité.

Nous traversons le jardin cloisonné avant de déambuler devant l’atrium, la pièce fraîche que Mama m’avait décrite, elle ne comprenait pas pourquoi les Romains avaient fermé cet espace. Nous, à Alexandrie, les jardins s’ouvrent vers l’extérieur. Les gens vivaient dehors et étaient heureux, avant cette invasion. Nous passons cet atrium, l’homme nous mène dans une sorte de cabane au loin située après les plants de légumes.

Mama vient de nouveau dans mon esprit. Je repense à nos nuits de discussions. L’une comme l’autre, le sommeil ne nous happait jamais. Mama en profitait pour travailler et moi, je venais avec elle. J’aimais jouer avec ses chats qui occupaient ses appartements. Elle m’a appris la langue des anciens, à lire les hiéroglyphes, elle m’a tant parlé des exploits de notre glorieux ancêtre Alexandre, sans oublier ceux de Tata. Et cette nuit, cette fameuse nuit, la dernière, j’aurais dû l’embrasser, la serrer dans mes bras, lui dire combien je l’admirais et combien je l’aimais.

Le devoir d’une bonne épouse comme elle ne cesse de me l’expliquer. D’après ce que j’ai appris, le devoir d’une femme est de filer la laine et d’élever des enfants. Une absurdité et une incompréhension.
En Égypte, nous avions accès à la culture, aux métiers. Nous avions le même statut que les hommes. J’ai disposé des mêmes apprentissages que mes frères de plus je ne filais pas cette maudite laine. À force de penser à ma vie d’avant, et par l’énervement qui m’envahit, je broie une nouvelle fois cette pelote.

Nous avons cru que la vie était un rêve merveilleux et nous nous sommes réveillés dans le vrai monde. Reste dans notre palais bleu, mon petit Taureau. Va y vivre pour toujours. Qui désire vraiment vivre ici, à cet instant ? Nous n’avions aucune chance. Ils ont tout décidé pour nous. Ce monde n’est pas adapté pour des êtres comme nous, nous ne le connaissons pas. Qui souhaiterait vivre pour l’éternité, parmi eux, ces assassins ? Pars mon bébé, vole vers d’autres terres où la souffrance n’existe plus.

L’eau est tiède, mais je vais me nettoyer, être pure, propre. Cependant, ma quiétude est de courte durée, car les deux se ruent sur moi. L’une s’occupe du dos et l’autre de la poitrine. Elles ne sont pas douces, j’en souffre, elles s’acharnent à me gratter avec leur sorte d’éponge qui ressemble à de la pierre. Elles frottent si fort que ma peau me brûle et devient écarlate. Soudain, une giclée d’eau froide afflue à l’arrière. Je pousse un cri qui provoque le rire de tout le monde.