Tel est l'art du chant chez Rameau. Il est d'abord et essentiellement un extraordinaire développement de la parole récitée : et par développement, je veux dire que la parole s'épanouit dans la musique en accroissant son pouvoir de suggestion, qu'elle s'y gonfle comme une pâte qui lève et élargit sa surface expressive.
Propulser au-delà des conventions établies la pensée, secouer le joug de l'habitude, concevoir différemment la musique, telle est la suprême insolence de Rameau... encore perceptible aujourd'hui.
"J'achève en ce moment la partition [des Troyens] après dix-huit mois de travail - écrivait Berlioz à Emile Deschamps le 3 mars 1858 . Que deviendra cette énormité ? Dieu seul le sait ! Encore il n'est pas sûr qu'il le sache. Mais en écrivant cela, j'ai cédé à un entraînement irrésistible ; j'ai satisfait une violente passion qui éclata dans mon enfance et n'a fait depuis que grandir."
Comment appréhender le projet berliozien des Troyens et sa réalisation ? Les clés de lecture sont multiples. Epopée virgilienne, théâtre shakespearien, tragédies grecque et classique, réforme gluckiste, sens de l'architecture et inflexions personnelles forment un tout "monstrueux", une oeuvre-monde à la fois magnifique et sensible.
Pour moi ce personnage n'est pas (n'est plus) un personnage démoniaque mais beaucoup plus un être dont la passion est la force vitale : c'est -à-dire un être habité d'une extraordinaire énergie incarnée dans une pensée qui se développe d'un seul trait. C'est un être qui va jusqu'au bout, et qui en même temps possède une étonnante faculté d'adaptation aux situations auxquelles il se heurte et une extraordinaire capacité à résoudre facilement et rapidement les problèmes qui se présentent à lui. [...]
Mais il y a des aspects très différents dans ce personnage - et c'est ce qui fait qu'il est passionnant, qu'il est fascinant : chacun, en effet, se regarde en lui et projette sur lui quelques-uns de ses problèmes. Pour que cette fonction de miroir qu'il recèle apparaisse, il faut jouer Don Juan avec le maximum de liberté (...) C'est là sa force, cette force qui lui permet de se jeter dans des situations en fait très claires pour lui alors qu'elles ne le sont pas pour son entourage qui réagit d'abord avec une certaine hypocrisie faite de bienséance sociale et de ce refoulement que lui, Don Juan, piétine joyeusement : c'est en cela qu'il est très nettement le catalyseur des problèmes des autres (qu'on songe à ce qu'il libère chez Anna, chez Zerline, chez Elvire - même et surtout dans ce qu'elles affirment rejeter). Mais cela même qui fait cette force intérieure fait aussi qu'il est "coincé" entre sa nature instinctivement libre et le monde social qui le rejette, qui le condamne. [...]
Car en fait le monde d'aujourd'hui est plein de Don Juan (...) dans ce qui fait l'universalité de son mythe et son intemporalité : la passion extrême de la vie jusqu'à défier la mort. (p. 212-213)
Comme un roc demeure immobile
Contre les vents et la tempête ;
Ainsi pour toujours cette âme est forte
Dans sa fidélité et son amour.
Avec nous naquit cette flamme
Qui nous est chère et qui nous console
Et la mort seule pourra
Faire changer notre coeur de sentiment
Respectez, âmes ingrates,
Cet exemple de constance
Et que jamais plus un barbare espoir
Ne vous rende audacieux
Fiordiligi ; acte 1- scène 11- aria 14
Dans les livres mystérieux du ciel
Je lis : aux pages de la mort
De la superbe Rome, le nom est écrit...
Un jour elle mourra, mais non par vous.
Elle mourra de ses vices.
Ainsi consumée elle mourra. Attendez l'heure.
L'heure fatale, où s'accomplira ce grand décret.
Je vous ordonne la Paix...et je cueille le gui sacré.
Premier acte - Scène 4 - prélude de Casta Diva.