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Citation de Ledraveur


Introduction
... La conduite embarrassante de Milà, qui caricaturait souvent insolemment les comportements et les usages habituels, incitait ses auditeurs à affranchir leur esprit des limites de la pensée conventionnelle. Ses réponses à leurs questions semblaient souvent sibyllines car, au lieu de répondre sans ambages, il traitait l’erreur conceptuelle sous-tendant la question. Dans l’absolu, toutefois, une seule réponse est exacte : l’existence apparemment indépendante des êtres et des choses est illusoire ; l’état naturel a été déformé par les perceptions conditionnées de l’esprit commun. Mais pour s’adapter aux niveaux variés de développement de ses auditeurs , Milà recourait à de nombreuses stratégies. Sa capacité à toucher son auditoire tenait à sa profonde connaissance du fonctionnement de l’esprit. Ses mots et ses actes, même ses éventuelles démonstrations de pouvoir surnaturels, étaient des approches concrètes de problèmes précis. Il agissait sur les fonctionnements habituels de l’esprit par poussées habiles visant l’origine des pensées erronées.
Les interventions de Milà établissaient des connexions “karmiques” avec toutes sortes de gens ; elles lui permettaient de semer les graines du développement spirituel de façon parfois incompréhensible dans l’immédiat. Le mot karma signifie action. Il renvoie à l’opération de la cause et de l’effet dans l’esprit. Le réseau complexe des actes du passé conditionne les perceptions et les idées du présent. La conception ordinaire d’un “moi” et d’un “monde” en résulte. Toute action, physique ou mentale, se répercute dans le champ de l’expérience personnelle. Chaque instant influence le suivant. Comme le lien entre l’action et l’expérience régit le samsara, on ne peut pas atteindre la libération en ignorant la loi de causalité. C’est plutôt en travaillant avec elle à la création des conditions propices au développement spirituel que l’on établit un terrain solide pour le bond ultime vers le liberté.
Aventurer l’esprit dans le non-connu est une entreprise ambitieuse et dangereuse, surtout avec les techniques tantriques. Certaines expériences peuvent fourvoyer la personne non préparée, l’entraînant sur de mauvais chemins et même à la démence. La direction d’un maître réellement accompli est nécessaire, pour ajuster la pratique et l’expérience, pour aider à lever les blocages et pour adapter la tactique à l’état toujours fluctuant de l’esprit. Milà lui même attribuait le succès de sa pratique à son maître, Jowö Matipa de Lhobrag, le Traducteur (1012-1097), comme en témoigne la dédicace qu’il fait au début de chaque chant. Mais il est dit aussi que, sans disciples à instruire, un maître n’a aucune raison vraiment de continuer à vivre. Les disciples d’un Lama souffrant le prient de rester ici-bas en lui offrant vivres et médicaments et en lui exprimant le besoin qu’ils ont de lui. Mais on peut se passer des offrandes matérielles car l’offrande essentielle est l’engagement de tout l’être dans l’œuvre de libération.
Comparé à l’image type du maître spirituel, Milàrépa est un personnage troublant. Il paraît inconséquent voire capricieux, en paroles et en actes, parce qu’il lui manque le “ronron” d’une personnalité routinière. Sa liberté n’est pas de la passivité, mais un jeu spontané dans l’état naturel où rien, ni les êtres, ni les choses, ni le maître, ni les disciples, ne peut plus prétendre avoir une existence séparée, autonome et immuable. Le monde phénoménal est une distorsion mentale de la réalité due à l’organisation du cerveau et de la perception par les habitudes de l’esprit formaté et conditionné. L’expérience méditative répétée de la dissolution de ces perceptions pesantes et habituelles permet au yogi(ni) d’extirper la tendance irrépressible à organiser et centraliser l’expérience. Dans l’état naturel de l’esprit, il perçoit simultanément la nature primordiale et la nature organisée des choses. Il est libre de choisir et, au lieu de rejeter le monde des apparences, il choisi d’y vivre, agissant pour le bien des êtres avec la vision claire des aspects apparent et ultime. Une telle personne s’appelle un bodhisattva, ce qui signifie “chevalier de l’Éveil”. La libération exclusivement personnelle est impensable pour un bodhisattva qui comprend l’interconnexion de toutes vies. On ne peut pas, dans la société, modifier son propre rôle à moins que les attitudes d’autrui à l’égard de ce rôle changent aussi. De manière analogue, un bodhisattva réalise que son développement spirituel est inextricablement lié à celui des autres. Il utilise ce lien pour mettre sa vie en scène et pour rester en relation avec les autres afin de leur montrer le chemin vers la liberté. Un être qui “s’irréalise” comme Milà Bonne-Nouvelle, n’est pas une coquille vide incapable d’émotion et d’amitié ; on doit toujours se souvenir de sa réelle nature humaine. Milà se préoccupait constamment du développement spirituel de ceux qui l’entouraient. A la manière d’un dramaturge puissant ou d’un acteur qui improvise, ses mots et ses actes élargissent habilement le champ perceptif et conceptuel des individus, ameublissant peu à peu la terre dure de leurs façons de penser psychorigide et dans des sillons très fortement enracinées.
p.10-11-12
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