CHAP. VIII. Reste la lecture. Elle a pour objet d'apprendre à l'enfant quand il doit s'arrêter pour reprendre haleine, où le vers se partage, où le sens finit, où il commence, quand il faut élever ou abaisser la voix, ce qui doit être prononcé avec une inflexion lente ou rapide, douce ou animée : ce qui ne peut guère se démontrer que dans la pratique. Or, je n'ai qu'une chose à recommander à cet égard : pour bien faire tout cela, qu'il comprenne bien ce qu'il lit. Qu'il s'accoutume surtout à lire d'un ton mâle, qui ait à la fois de la gravité et de la douceur. Et puisque ce sont des vers, et que les poètes disent eux-mêmes qu'ils chantent, le ton ne doit pas être le même que pour la prose, sans dégénérer pourtant en une modulation languissante et efféminée ; défaut presque général aujourd'hui, et qui donna occasion à un bon mot de C. César, lorsqu'il portait encore la robe prétexte : Si vous chantez, disait-il, vous chantez mal ; si vous prétendez lire, vous chantez. Je ne suis pas non plus de l'avis de certaines personnes qui veulent qu'on lise les prosopopées sur le ton d'un comédien ; seulement, une certaine inflexion est nécessaire pour les distinguer des endroits où le poète parle lui-même.
CHAP. V. Le discours a trois qualités : la correction, la clarté, et l'ornement ; car pour la convenance, qui est la qualité principale, la plupart en font une dépendance de l'ornement. À ces qualités sont opposés autant de défauts. Le maître recherchera donc en quoi consistent les règles de la correction, lesquelles constituent la première des deux parties de la grammaire. Ces règles portent sur les mots pris isolément, ou joints ensemble. Je prends ici le mot uerbum dans une acception générale ; car il s'entend de deux manières : ou il embrasse dans sa signification tous les mots dont la phrase est composée, et a le sens que lui donne Horace dans ce vers :
Verbaque prouisam rem non inuita sequentur :
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,*
Et les mots pour le dire arrivent aisément ;
ou il est une partie du discours, comme je lis, j'écris. Pour éviter cette équivoque, quelques écrivains ont mieux aimé dire uoces, dictiones, locutiones.
chapitre II
Le véritable foyer de l'éloquence, c'est l'âme : il faut qu'elle soit émue, il faut qu'elle se remplisse d'images, et qu'elle s'identifie pour ainsi dire avec les choses dont on a à parler. Plus l'âme est généreuse et élevée, plus il lui faut de puissants leviers pour l'ébranler. C'est pour cela que la louange lui donne plus d'essor, que la lutte redouble ses forces, et qu'elle se complaît dans les grands rôles. Au contraire, on ressent un secret dédain d'abaisser à un seul auditeur ce talent de la parole, acquis au prix de tant de travaux ; on rougit de s'élever au-dessus du ton de la conversation. Représentez-vous, en effet, l'air d'un rhéteur qui déclame, ou la voix, le geste, la prononciation d'un orateur qui sue et s'escrime de corps et d'âme, et cela face à face avec un seul auditeur : ne serez-vous pas tenté de le prendre pour un fou ? L éloquence n'existerait pas sur la terre, si l'on n'avait jamais à parler qu'en particulier.