AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de zzENCREdeCHINEzz


Voilà Tarascon, dont l'antiquité n'est pas plus douteuse que celle de Beaucaire, mais qui a sur celle-ci l'avantage de conserver encore le nom sous lequel Ptolémée et Strabon nous l'avaient faite connaître sur les bancs de l'école. Suivant une opinion traditionnelle, dont rien cependant ne montre la vérité, ni même la possibilité, il existerait un chemin souterrain communiquant d'une ville à l'autre, par dessous le fleuve, et dont le fameux tunnel de Londres ne serait qu'une imitation.
Tarascon est d'une grande ressource pour les étrangers venant à la foire en amateurs. Ses auberges et ses hôtels reçoivent les personnes qui, attirées par de petites affaires ou par la simple curiosité, n'ont aucun intérêt à se loger très étroitement et toujours fort chèrement dans l'intérieur de Beaucaire. Il faut avoir vu ces chambres dans lesquelles s'entassent des familles entières... c'est l'image d'une prison, et c'est le lot du plus grand nombre, car tous ne peuvent pas faire la dépense d'une cellule bien proprette, comme on en loue dans une foule de maisons ; et d'ailleurs, où placer, dans Beaucaire, 60 à 80 000 chambres pour tant de marchands, d'acheteurs et de curieux ! A Tarascon, au contraire, ces derniers peuvent trouver à se loger d'une manière, sinon confortable, du moins plus convenable. Pendant toute la durée de la foire sur l'autre rive, la ville offre un aspect de fête qui plaît à l’œil, et on peut, le soir, s'y donner le plaisir du théâtre. Beaucaire est la ville des gens d'affaires et du commerce en gros, Tarascon est celle des amateurs et du commerce en détail ; à Beaucaire agitation, tumulte, soucis, presse continuelle, purgatoire de trente jours ; à Tarascon mouvement modéré, calme d'esprit, repos de corps, chère passable et délassement.
La physionomie de cette ville n'a rien de merveilleux. Cette belle promenade complantée d'arbres, c'est le cours. A l'autre extrémité de la ville il y a une très belle caserne à triple pavillon. Vous n'êtes par curieux d'aller la visiter ; le temps vous manquerait. Il vaut mieux voir l'église de Sainte-Marthe et le château. En passant par ces petits coins nous y arriverons. Voilà le portail de cette paroisse, qui, comme celui du plus grand nombre des vieilles églises de France flétrit d'un sceau réprobateur et ignominieux le vandalisme des premières années de la révolution ; cette riche frise gothique et ce tympan ont été mutilés de la manière la plus déplorable. Vous douteriez-vous que sur ces saillies s'élevaient des statues ? Entrons. Le vaisseau est beau ; il date du XIème siècle. L'église est dédiée à sainte Marthe, sœur de Marie-Magdelaine et du Lazare, qu'une pieuse fable inventée depuis moins de mille ans, fait venir mourir en Provence. Ces huit beaux tableaux, de la main de Vien, représentant la vie de la sainte patronne, sont un don du gouvernement de Louis XVIII. Suivons ces personnages qui descendent à la chapelle souterraine. Voilà, derrière l'autel, le tombeau prétendu de l'hôtesse du Christ, avec sa statue en marbre blanc les pieds foulant un oreiller, et une croix à la main. Ce hideux dragon dont vous retrouverez la grossière peinture sur les oriflammes, sur les bannières, sur les tambours de basque d'enfants, sur les images de tous les coins de rue ; ce monstre dégoûtant, c'est la Tarasque, nom qu'il emprunte à la ville où il exerçait, dit-on, ses ravages. Le monstrueux reptile sortait du Rhône toutes les fois que l'appétit titillait son estomac, et il avait faim souvent ; et alors il dévorait autant d'enfants qu'il en pouvait attraper. Sainte Marthe arriva, fit une prière, et jetant sa jarretière au cou de l'animal, lequel cou, soit dit en passant et sans malice, devait être bien petit ou la jarretière bien longue, elle le dompta et le conduisit en laisse comme le montrent toutes ces enluminures. Je ne sais où Frezier a prit que la Tarasque portait sur le dos une corbeille d'où sortait une marionnette qui réjouissait fort les petits enfants ? Celle-ci, qui est le type de tous ces dragons imaginaires, n'a sur le dos que de vilaines écailles formant une grosse bosse, et la seule distraction qu'elle procurât aux petits enfants, c'était de le croquer. Ne reconnaissez-vous pas, dans cette fable, un conte renouvelé de ces antiques lamies dont se moque en si beaux vers le poète Lucilius ?
Le jeu de la tarasque attirait autrefois dans cette ville une multitude considérable de curieux. Ces jeux, presque toujours marqués par quelques accidents fâcheux, se célébraient le lendemain de la Pentecôte. Des jeunes gens des meilleures familles, représentant le corps de la noblesse, suivant le programme attribué au roi René, et vêtus de culottes de serge rose, pourpoint de batiste avec garnitures de mousseline et de dentelle aux manches, bas et souliers blancs avec bordure, talons et houppes rouges, chapeau monté, avec cocarde rouge, et portant suspendue au bas d'un ruban de cette même couleur, posé en sautoir autour du cou, une petite tarasque d'argent, parcouraient la ville, tambours et trompettes en tête, à l'issue de la messe, et distribuaient, sur leur passage, des cocardes rouges aux hommes et aux femmes, qui tous s'en paraient sur le champ. Immédiatement après, les mariniers de la corporation du Rhône faisaient la même promenade, distribuant, à leur tout, des cocardes bleues attachées avec du chanvre. On faisait ensuite sortir la Tarasque, énorme mannequin dont le corps était une poutre servant d'appui à de nombreux cerceaux couverts de toile peinte en vert, imitant le crocodile. Ce mannequin, porté par douze hommes, en renfermait dans ses vastes flancs un treizième qui faisait exécuter aux différentes pièces de bois couvertes d'écailles qui formaient la queue, de brusques mouvements, et qui lançait, par la gueule béante du monstre et par ses narines, des poignées de serpenteaux. La tarasque ne manquait jamais d'être dirigée vers les groupes les plus nombreux ; les coups de sa queue blessaient, meurtrissaient, pouvaient même casser les jambes de ceux qui n'étaient pas assez lestes pour en éviter le choc par un saut, et l’hilarité de la masse des spectateurs était à son comble. Les blessés n'étaient pas admis à se plaindre, parce que c'était l'usage. Une raison moins mauvaise, c'est qu'ils savaient d'avance ce qui les menaçait, et qu'ils auraient dû se tenir à l'écart.
Commenter  J’apprécie          00









{* *}