Il y avait là des Anglais, des Français, des Suédois, des Autrichiens, des Allemands, des Irlandais... rien que des pionniers qui comptaient bien trouver leur bonheur et leur vie dans le Nouveau Monde.
Il y avait des saints et des repris de justice. Des saints pour lesquels le service de Dieu, l'amour de la justice et de la liberté, avaient plus de valeur que les propriétés et tous les biens matériels qu'ils abandonnaient dans leur patrie : quakers, piétistes, huguenots, protestants...
Quant aux repris de justice, presque tous avaient quitté l'Angleterre pour échapper à la potence. A vrai dire, priés de choisir entre la pendaison et la liberté en Amérique, ils ne s'étaient pas tous décidés pour la liberté.
Ce n'était pas une mince responsabilité que le souci d'acheminer toute une cargaison : pommes de terre, viande de porc, maïs, farine, jusqu'au port terminal, sur une voie liquide pleine d'embûches provenant de la nature ou des hommes. C'étaient ces périls que les deux garçons évoquaient, soit qu'il s'agisse des bandes de caïmans qui ont leur quartier général dans les anfractuosités des rochers, soit des détrousseurs de bateaux qui, sous la direction du célèbre Mike Fink, sévissaient aussi bien dans l'Ohio que dans le Mississippi.
Lorsqu'Abraham eut seize ans, il conduisait la charrue et maniait la hache comme pas un fils de fermier à cinquante milles alentour. Il fallait le voir torse nu et bronzé, vêtu d'un long pantalon de cuir fauve bordé de franges décoratives, ou simplement d'une petite culotte en peau de chèvre retenue par un gros ceinturon, frapper inlassablement de sa hache sur quelque géant des forêts. Il ne faisait pas le travail d'un adolescent de seize printemps, mais celui de deux hommes bien musclés.