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Critiques de UJFP (1)
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Une parole juive contre les racisme

Ce livre s’adresse « à un public large de jeunes, d’enseignants, d’éducateurs, de militants qui souhaitent faire le point sur le racisme et entendre ce que des Juifs ont à dire sur la manière de la combattre avec tous ». C’est en effet un livre pour toutes et tous, qui aborde de multiples questions, le racisme et ses formes spécifiques, qui « prend le parti de l’universel ».



En assumant des choix subjectifs, je me propose d’en souligner quelques points, de discuter quelques formulations et de m’éloigner parfois, hors du propos du livre, comme pour réfléchir à haute voix.



Dans une volonté d’historicité, j’utiliserai soit les termes « anti-judaïsme » (historiquement et chrétiennement religieux), « antisémitisme » (pour sa forme « raciale » de la fin du XIXème et du XXème siècle, ou « judéophobie » pour une forme courante aujourd’hui. Il n’y a, faut-il le préciser, pas de barrière étanche entre ces formes de « haine » des populations se considérant ou étant considérées comme juives ; ces formes peuvent évidemment se (re)trouver au sein d’une même société…



Un premier sursaut en lisant dans le préambule, à la fin d’une phrase mise en gras : « les principales victimes du racisme ne sont pas les Juifs ». Que vient faire ici, l’adjectif « principales », certes polysémique ?… (Si les auteur-e-s voulaient parler du nombre d’actes, la formule est pour le moins maladroite.)



Quoiqu’il en soit, il y a des personnes, se considérant ou considéré-e-s comme juives, victimes du racisme, et les auteur-e-s en fourniront des exemples plus avant dans le livre, soit il n’y en a pas. Il ne saurait y avoir une forme principale et des victimes secondaires… Et celles et ceux qui sont insulté-e-s, agressé-e-s, stigmatisé-e-s sont bien victimes du racisme.



J’ai particulièrement apprécié les propositions des un-e-s et des autres à la question « Qu’est-ce qu’être juif ? ». Contre les assignations, les auto-définitions des populations et des personnes se sentant concernées sont en effet importantes, (les auteur-e-s indiqueront plus loin les propositions d’auto-définition, « What is this person’s race ? » dans un formulaire de recensement aux Etats-Unis).



Je ne suis pas à l’aise ni avec le terme « peuple » ni avec le terme « nation », collectivités historiques imaginaire ou politique aux effets bien réels… Je ne saurais donc trancher pour savoir s’il y a un ou des peuples juif(s). Mais deux arguments me semblent inadéquats : le fait que dans l’histoire, des populations adoptèrent la religion « juive » ne saurait les écarter de l’auto-définition de leurs « descendant-e-s » en peuple (communauté de destin) plusieurs siècles après ; par ailleurs, sur deux millénaires, il ne saurait y avoir de descendant-e-s « direct-e-s » de populations ayant vécu dans une zone géographique soumises à de multiples mouvements de populations (que cela soit en Palestine ou ailleurs). Les « peuples » n’existent pas par nature ou essence, ils ont une histoire et sont inscrits dans l’histoire. Nous pouvons donc nous interroger sur des continuités historiques souvent inventées ou ne prenant pas en compte les modifications réelles de « populations ».



Première partie : « Les races, est-ce que ça existe ? ». Les auteur-e-s abordent, entre autres, l’histoire des classements et des hiérarchisations des êtres humains, les génomes et les phénotypes, l’extrême variabilité et les diversités des individu-e-s, « En fait, le concept de race est une construction sociale et politique, qui sert à légitimer le racisme, a permis et permet encore de justifier la traite et la mise en esclavage, la colonisation, la ségrégation, l’épuration ethnique et les génocides ». Un construction sociale et politique, le racisme ne peut être considéré comme un simple préjugé ou une disposition psychologique.



Les auteur-e-s proposent de nombreux moments historiques du rejet de l’« autre », de création de « bouc-émissaire », d’enfermement de l’« autre » dans une identité, d’essentialisation de groupes sociaux, d’affirmation de supériorité et donc d’infériorité, de racisme d’Etat… Elles et ils abordent les textes religieux, les idéologies de la pureté, le fascisme et le nazisme, l’extrême-droite française, l’eugénisme…



Seconde partie : « Le racisme, à quoi ça a servi ? ». Les auteur-e-s parlent des populations juives au « Moyen Age » en Europe et dans le « monde musulman », dont du statut de protection des « dhimmis ». Un statut à comprendre dans son historicité, un statut de protection au moins jusqu’à la Revolution française et l’« émancipation des juifs », un statut d’infériorité institutionnalisée après, et, plus encore, après le décret Crémieux, donnant la nationalité aux personnes juives dans l’Algérie colonisée (je reviendrais sur ce sujet). Statut de « dhimmis » protecteur dans un cadre socio-historique, statut « infamant » dans un autre.



Les auteur-e-s reviennent sur la controverse de Valladolid, le siècle des Lumières, la traite atlantique négrière, la société des Amis des Noirs, les classifications des humains par les savants, les colonisations, le rétablissement de l’esclavage par Napoléon…



Elles et ils abordent les racismes spécifiques, islamophobie, négrophobie, racisme anti-rrom, la « concurrence des victimes », « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous » (Frantz Fanon s’adressant aux victimes de négrophobie, cité par les auteur-e-s), le passage de l’antijudaïsme à l’antisémitisme, l’Union des ouvriers juifs de Pologne, de Lituanie et de Russie (Bund) et son opposition au sionisme, (Je souligne que l’antisionisme est né dans les communautés juives. C’est d’abord une prise de position politique de juives et de juifs qui voulaient continuer à vivre et à travailler au pays, comme nous le dirions aujourd’hui, c’est-à dire là où elles et ils sont installé-e-s depuis des siècles et où elles et ils forment une « nation » parmi les nations (russe, polonaise, ukrainienne…). Les auteur-e-s poursuivent avec la montée du racisme accompagnant l’expansion impérialiste coloniale, le racisme contre des populations européennes (Italien-ne-s, Polonais-e-s, Portugais-e-s, etc.), contre celles et ceux qualifié-e-s d’« inassimilables », le Protocole des sages de Sion, les théories du complot, la destruction des « Juifs d’Europe » lors de la Seconde Guerre mondiale.



Je voudrai m’arrêter un peu sur deux points.



Premièrement sur l’émancipation des Juifs en France, la Révolution française, l’abbé Grégoire nommé par les auteur-e-s, la citoyenneté… je voudrais rappeler qu’une autre émancipation avait été défendue par Zalkind Hourwitz dans Apologie des Juifs (1789).



En second lieu, je partage ce que les auteur-e-s écrivent sur « l’inhumain est humain », sur les crimes commis par des hommes et des femmes, sur l’inscription de la violence nazie dans la longue durée de l’histoire européenne, sur les autres génocides au XXème siècle, sur les volontés génocidaires. La destruction des populations juives d’Europe (il ne faudrait pas oublier celui des tsiganes) ne peut être considérée comme « le paradigme absolu, l’échelle de mesure de toute violence exercée contre une population ».



Il y a cependant une particularité à ce génocide perpétré par le pouvoir allemand, ce n’est ni les déplacements de population, ni leur mise en camp, ni les mort-e-s par balles et autres moyens, ni le nombre de tué-e-s, ni la racialisation préalable des victimes, mais bien l’utilisation (parfois prioritaire par rapport à l’« effort de guerre ») des moyens matériels de l’industrie capitaliste (les trains menant aux camps d’extermination, les chambres à gaz et les crématoires), l’industrialisation de la mise à mort.



Les auteur-e-s rappellent la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, la campagne internationale de boycott.



Troisième partie : « Juifs solidaires d’autres victimes du racisme ». Les auteur-e-s parlent du sionisme, du nationalisme juif comme mouvement colonial, de la Nakba, des antisémites déguisés en anti-sionistes (Dieudonné, Soral…), de la confusion voulue, par le pouvoir israélien et des organismes comme le CRIF, entre Israélien-ne, sioniste, juif et juive, de la guerre à Gaza (crimes de guerre, crimes contre l’humanité et non génocide, comme l’avancent certain-e-s).



Si je pense que la notion de philosémitisme peut-être pertinente (voir par exemple, Ivan Segré : La réaction philosémite et L’intellectuel compulsif. Sa dénonciation au nom de conséquences comme le « renforcement d’un ressentiment », comme l’exposition en retour « à un racisme antijuif » me paraît très discutable. Le parallèle avec la période du décret Crémieux et la séparation institutionnelle créée au sein de la population « indigène » algérienne, ne me paraît pas non plus pertinente.



Il convient de souligner le « deux poids de mesures » dans la lutte contre le racisme et ses conséquences pour les populations, le soutien étatique indéniable à l’Etat d’Israel (soutien aux violations du droit international et des résolutions de l’ONU, non dénonciation des crimes militaires et de la colonisation, silence sur l’inégalité institutionnalisée des droits des populations en fonction de leur « religion », acceptation de l’exorbitant « droit au retour » pour les personnes considérées comme juives, etc.). Si cela peut donner à comprendre des réactions et des comportements, cela ne saurait relever de la « faute » ou de la « responsabilité » des personnes, se considérant ou étant considérées comme juives. Elles et ils ne peuvent être tenu-e-s « en culpabilité » de la (re)montée de la judéophobie à leur encontre…



Les auteur-e-s montrent la spécificité de l’islamophobie comme racisme, l’organisation par l’Etat des discriminations, les liens entre antisémitisme et islamophobie (je rappelle cependant que le terme « sémite » ne saurait s’appliquer à des populations), la persistance du racisme anti-noir-e-s, les « Asiatiques » vu-e-s comme étranger-e-s, le rejet des migrant-e-s, la situation des populations rroms… sans oublier le sexisme, la lesbophobie, l’homophobie, etc.



A noter, cependant, que les femmes ne sont pas une catégorie, une minorité mais bien la moitié de l’humanité. Et, en élargissement le propos, le choix de certain-e-s d’être aveugles au genre, au nom de la « race » ou d’une autre priorité, laisse douter de leur conception de l’égalité. Se battre pour des droits égaux pour un groupe de population et non pour des droits égaux pour toutes et tous les individu-es et pour tous les groupes est pour le moins peu « progressiste »… Dois-je préciser que le combat contre la judéophobie ou celui contre l’islamophobie n’impliquent pas de faire des compromis sur l’égalité des droits, de relativiser d’autres combats…



Le dernier chapitre est consacré à « Comment lutter vraiment contre le racisme ? ». Les auteur-e-s parle de la capacité de l’espèce humaine à s’entraider, « à dépasser la lutte de chacun contre chacun », de la laïcité et de la loi de 1905, de la séparation « entre l’Etat et les cultes », de la liberté de culte, de la liberté de conscience et de ses expressions, de cette nouvelle « laïcité » excluante prônée (et institutionnalisée quelques fois) par certain-e-s, des lois anti-racistes et de leur non application, des actions collectives quotidiennes et des organisations anti-racistes. Curieusement aucune revendication en terme de droit n’est mise en avant.



Je voudrais enfin revenir sur les auto-définitions, déjà abordées. On ne naît pas juif/juive, musulman-e (pour ne prendre que ces deux exemples), on le devient ; de plus, on naît « par hasard » dans tel ou tel découpage institutionnel ou étatique. Certes, le contexte socio-culturel-économique-familial participe de la construction de chacun-e, mais cela ne justifie pas que l’on se pense, et qu’on pense les autres, comme irrémédiablement lié-e-s par essence à ces « environnements » de naissance. Et si on devient quelqu’un-e, on peut aussi « démissionner » des assignations que d’autres, même très proches et aimant-e-s, voudraient nous voir partager ou proroger… (voir par exemple, Shlomo Sand : Comment j’ai cessé d’être juif ou John Stoltenberg : « Refuser d’être un homme »).



Quoiqu’il en soit, un petit livre, judicieusement illustré, abordant de multiples questions sur le racisme et comment le combattre. Un instrument adéquat « à un public large de jeunes, d’enseignants, d’éducateurs, de militants qui souhaitent faire le point sur le racisme et entendre ce que des Juifs ont à dire sur la manière de la combattre avec tous ». Un instrument pour débattre collectivement et agir.
Lien : https://entreleslignesentrel..
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