Les hommes se distinguent uniquement par leurs actes. L’imbécile qui est entré en poste dans un ministère à la faveur de son arbre généalogique, qui charrie dans ses veines les péchés de ses ancêtres depuis des générations, ne vaut pas mieux que le maquereau qui cogne sa pute et boit ses gains.
Renoncer à ses idées, se compromettre ! Mentir ! Mais quoi qu’il fasse, il n’échapperait pas au mensonge : s’il entrait au parti, il y aurait là aussi de toute façon un fossé entre l’adhésion à la doctrine et l’esprit de celle-ci, que seul le mensonge pourrait combler.
Le pavé irrégulier débouche dans un chemin sableux qui longe le canal entre de grands peupliers. Soudain, toutes les cloches de Gand carillonnent dans l’air doré du soir. Elles annoncent la septième heure. Le maréchal des logis Dietrich Vorhofen laisse son cheval aller d’un pas lent sur le pavé. Il repère le chemin sur sa carte. Dans le sable, il va au trot. Les dernières maisons du faubourg approchent en sautillant. Des enfants jouent par-devant. Ils crient sur son passage. Un gamin montre son derrière. Maintenant, arbres et prés caracolent autour du cavalier. L’eau du canal chuinte et moutonne le long de la berge. La nuit tombe. Le chemin se perd dans le brouillard. La lueur de grands incendies se précise à l’horizon. Vorhofen ne pense à rien. Ses mains lâchent la bride à son cheval qui trotte d’un pas régulier. Le porte-carte bat contre le pistolet. Le feu de l’infanterie fume au loin. Vorhofen a les yeux et les oreilles dans le paysage. Il arrive près d’une petite maison sur la berge. Il fait sombre. La porte défoncée repose contre les montants. Les vitres sont cassées.
Des araignées, oui, les hommes étaient un genre d'araignée. Ils tissaient autour d’eux une toile de concepts imaginaires destinée à emberlificoter leurs congénères. Une fois pris au piège, ces derniers se trouvaient livrés, impuissants, à un prédateur avide d'assouvir ses pulsions.
Les convictions se négociaient… comme à la bourse !
La révolution consiste à enflammer le peuple, à le purifier ! La révolution, c'est la destruction de ce qui existe. La renaissance !
Ce n'était pas pour l’or et les espèces sonnantes et trébuchantes, pas pour les billets de banque, les obligations, les actions et les titres que la masse du peuple se battait.
Le peuple se battait pour être éclairé ! Libéré des geôles de la misère intellectuelle !
Voilà le but qu'il poursuivait !