Ils débouchèrent sur une plage de sable noir. Leurs lourdes chaussures de randonnée s’enfonçaient sur ce nouveau terrain instable. Mais ils en rirent, heureux d’être enfin arrivés et de pouvoir poser une bonne fois pour toutes leur sac à terre. Loïc tomba à genoux, face aux eaux sombres du lac des Cendres. Julia se hâta de libérer ses pieds endoloris dans l’idée d’aller les tremper.
Ils étaient si envoûtés par le paysage volcanique qu’ils ne remarquèrent pas la bâtisse en bois rouge derrière eux dans le renfoncement de la forêt. Ils n’avaient d’yeux que pour la surface lisse et sombre, et ils ne virent donc pas non plus l’épaisse silhouette qui les observait de l’une des fenêtres du cabanon. Cette dernière disparut en silence sous un rideau. Au même moment, le soleil finit de glisser derrière l’imposant volcan Montcineyre qui dominait le bassin, plongeant Loïc et Julia dans l’ombre. Jamais le lac des Cendres n’avait aussi bien porté son nom.
L’eau était si sombre que la surface du lac constituait un miroir presque parfait. Jonathan grimaça à la vue de son visage usé par la fatigue. Son teint blafard faisait ressortir d’autant plus ses cernes bleus sous ses yeux noirs. Il aurait aimé plonger dans le bassin qu’il imaginait glacé, en espérant ainsi stopper l’effet du temps sur ses traits. Mais le zèle du gardien l’avait marqué. Il se contenta de se gratter la tête et d’arracher au passage un cheveu blanc trop visible à son goût. Il avait pourtant entendu dire qu’il ne fallait surtout pas y toucher, sinon cela empirait. Peut-être qu’il finirait bientôt comme Henry Castel, avec la boule à zéro. Le lieutenant soupira, dépité à l’idée des quarante balais qui avaient filé. Combien de temps allait-il tenir à ce rythme ? Il se tuait à la tâche sans être sûr de la raison qui le poussait.
Elle avait observé sous toutes les coutures la microscopique marque blanche qui indiquait le point précis où la chair avait été percée. Elle n’avait rien vu de suspect. Pourtant, quelque chose avait bien traversé la peau.
Mais quoi ?
Un produit mystérieux qui commençait à faire effet, à en croire la pâleur du visage d’Héloïse, dissimulé derrière ses longs cheveux ruisselants. Leurs reflets dorés s’étaient atténués. Groggy par l’alcool et par cette drogue qu’elle était persuadée qu’on lui avait injectée, elle redoutait à tout instant de faire une overdose. Rien autour d’elle n’existait tant elle était concentrée sur les battements de son cœur tambourinant contre ses tympans. Chaque pulsation la raccrochait à la vie. Pour le reste, cela faisait de longues minutes que son corps était aux abonnés absents. Ses jambes bougeaient, même si, à ses yeux, ses deux membres inférieurs n’étaient plus qu’un ensemble indiscernable de picotements. Elle finit par se prendre les pieds dans une branche arrachée par une des fortes rafales de vent qui secouaient la forêt.
Qu’on ne me prenne pas pour une ordure, encore moins pour un sadique, non. Personne n’imagine à quel point je suis nécessaire. Beaucoup cherchent à me fuir. Justement. Sans moi, on n’aurait jamais le feu aux fesses. Voilà ce que je fais, je mets le feu aux fesses. Je rends la vie un tantinet palpitante. Je crée du danger. Je place des obstacles. Je fais de mes clients des aventuriers. Certes, la majorité de mes cas et de mes interventions sont moins romanesques. A vrai dire, c’est souvent même très ennuyeux. La plupart, surtout dans mon périmètre d’action, concernent les petits bobos. Le mioche qui tombe de son vélo, l’ado qui vient de se faire larguer, la mère qui se coupe en tranchant des tomates, le père qui se taillade dans le jardin à coup de tondeuse à gazon… Bon, je l’avoue, le dernier sort légèrement du lot. Cas exceptionnel. Exceptionnellement drôle. Rien que d’y repenser, je suis ému.
N'oubliez pas que même les morts ont besoin de mon autorisation pour reposer en paix.
« Tout a été détruit et la ville est redevenue malléable,
changeante, vivante. Voilà comment nous nous sommes
tous retrouvés ici. Nous souhaitions expérimenter l’urbain
comme nous l’entendions: la ville séisme, la ville agile. »
« Le skateboard, c’est avant tout se réapproprier l’espace,
rendre flexibles les éléments urbains, les utiliser pour ce à
quoi ils ne sont pas destinés. »
À sa place. Oui, toute chose a sa place. Sans cela il n’y a plus d’ordre, plus de sens, plus de logique. Rien n’est là par hasard.
Le monde était à l'image de la météo, chaotique et menaçant.