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Citation de genou


L’homme assis derrière le bureau déplaça de quelques centimètres sur la droite un lourd presse-papiers en verre. Plutôt que pensif ou préoccupé, son visage semblait dépourvu d’expression. Il avait le teint pâle des gens qui passent la plus grande partie de leurs journées à la lumière artificielle. On devinait en lui un homme de cabinet. Un homme de dossiers et de fiches. Et le fait que, pour parvenir jusqu’à lui, il fallait suivre de longs et tortueux couloirs souterrains avait quelque chose d’étrange et d’insolite. Il eût été difficile de lui donner un âge. Il ne paraissait ni vieux, ni jeune. Il n’avait pas de rides, mais une grande lassitude se lisait dans ses yeux.
L’autre personnage qui se trouvait dans la pièce était son aîné. Brun, avec une petite moustache d’allure militaire, il débordait manifestement d’activité et d’énergie. Incapable de tenir en place, il se promenait de long en large, jetant de temps à autre, d’une voix brève, quelque remarque explosive :
— Des rapports, des rapports et encore des rapports !… Et pas un, dans le tas, dont on puisse tirer quelque chose !
L’homme qui était au bureau baissa les yeux sur les papiers qu’il avait devant lui. Sur le dessus, il y avait une fiche de carton, portant un nom, suivi d’un point d’interrogation : « Betterton, Thomas Charles ? » Hochant la tête, il dit :
— Ces rapports, vous les avez étudiés et ils ne contiennent rien d’intéressant ?
L’autre haussa les épaules.
— Comment l’affirmer ?
— Évidemment, on ne sait jamais !
— On l’a vu sur la Riviera, on l’a rencontré à Anvers, identifié de façon certaine à Oslo, aperçu à
Biarritz, remarqué à Strasbourg, où son comportement a semblé suspect. On l’a vu sur la plage d’Ostende, en compagnie d’une blonde magnifique, et se promenant dans les rues de Bruxelles, avec un superbe greyhound. On ne l’a pas encore rencontré au Zoo, le bras posé sur l’encolure d’un zèbre, mais je suis tranquille, ça viendra !
— Personnellement, Wharton, avez-vous une idée ? Pour moi, j’attendais beaucoup de la piste d’Anvers, mais elle n’a mené nulle part. Évidemment…
L’homme se tut, comme brusquement plongé dans un abîme de réflexions, dont il ne sortit que pour prononcer des mots assez énigmatiques :
— Oui, c’est probable. Malgré cela, je me demande…
Le colonel Wharton s’assit sur le bras d’un fauteuil.
— Il faut pourtant en finir ! s’écria-t-il, un peu d’exaspération dans la voix. Il y a là un pourquoi, un comment et un où qui ne peuvent pas éternellement rester sans réponse ! On ne peut pas continuer à perdre tous les mois un savant spécialisé, sans jamais être fichu de dire comment il disparaît, pourquoi il s’en va et où il s’est rendu ! Est-ce où nous pensons ou ailleurs ? Nous avons toujours eu là-dessus notre opinion, mais je ne suis plus tellement sûr qu’elle vaille quelque chose ! Avez-vous lu les derniers
rapports sur Betterton qui nous sont arrivés des États-Unis ?
L’homme assis au bureau hocha la tête.
— Oui. Il a eu des idées de gauche quand c’était la mode, mais, autant que nous sachions, il ne les a pas gardées longtemps. Il a fait du bon travail avant la guerre, mais rien de sensationnel. Quand Mannheim s’est enfui d’Allemagne, Betterton lui a été adjoint, en qualité d’assistant, et il a fini par
épouser la fille de Mannheim. Après la mort de Mannheim, il a poursuivi les travaux du savant allemand et il est devenu célèbre avec sa stupéfiante découverte de la fission ZE. Une véritable révolution scientifique, qui l’a mis en vedette. On pouvait lui prédire une carrière extrêmement brillante, quand la mort de sa femme, survenue peu après leur mariage, l’a laissé désemparé. Il est venu en Angleterre et, depuis un an et demi, il était à Harwell. Il s’est remarié, il y a six mois.
— Rien de ce côté-là ?
— À notre connaissance, non. C’est la fille d’un avoué de Harwell et, avant son mariage, elle travaillait dans une compagnie d’assurances. D’après nos renseignements, elle ne s’est jamais occupée de politique.
— La fission ZE ! s’exclama Wharton, d’un ton dégoûté. Où ils vont chercher ces noms-là, je me le demande ! Je dois être vieux jeu. Jamais je n’ai vu une molécule et aujourd’hui, eux, ils en sont à diviser l’univers, avec des bombes atomiques, des fissions nucléaires, des fissions...
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