Doba (Tchad)
Le docteur Marc Chatarian s’obligeait à regarder à
travers la vitre. De l’autre côté, l’infirmier tchadien portait
des gants et un masque en tissu. Protections bien dérisoires !
Malgré la honte qu’il ressentait à laisser l’auxiliaire local
prendre tous les risques, le médecin humanitaire n’aurait
en aucun cas voulu être à sa place. Pire, sans le rempart de
l’épaisse glace, jamais il ne se serait approché à cette distance.
La vue du cadavre sur le brancard lui donnait la nausée. Le
corps était nu. Le tableau était affligeant. Marc Chatarian se
souvenait avoir eu envie de cette femme. Il se rappelait même
l’avoir souvent déshabillée du regard, avoir impudiquement
imaginé les formes harmonieuses cachées derrière les
vêtements. Son fantasme se réalisait, pas comme il l’aurait
toutefois souhaité, malheureusement. Ce matin-là, il la voyait
comme il en avait rêvé, mais hélas, morte.
Ses yeux fixèrent le bas du corps pour retarder le moment
où ils devraient se confronter au visage. De nouveau, les
souvenirs s’invitèrent, comme pour mieux contraster avec
l’horrible spectacle qu’il lui faudrait supporter dans les
secondes à venir.
Il l’avait rencontrée pour la dernière fois le mardi de
la semaine précédente quand elle était arrivée à Doba. Il regrettait de ne pas l’avoir alertée davantage sur le danger de
son initiative. Malheureusement, il était aujourd’hui trop tard.
Pour la première fois de son existence, Stella avait le sentiment d’avoir rompu avec l’adversité. Les moments difficiles et douloureux appartenaient désormais au passé. Depuis qu’en mars dernier, Arnaud était revenu sain et sauf du Suriname , Stella vivait un vrai conte de fées. Les retrouvailles passées, tout était allé très vite. D’abord, le mariage. Le couple avait tenu à maintenir la date de début juin. Une cérémonie simple, à la mairie, entre quatre témoins, mais tellement intense ! Stella, Estelle Monnet pour l’état civil, avait pris le nom marital de Gervon. Elle en était fière, se moquant, par ce sentiment, d’être à contre-courant des pensées féministes.
Le médecin cherche à retarder l'instant fatidique. Son regard s'attarda sur les mains. Il remarqua l'alliance et la bague. On ne les lui avait pas retirées. La crainte, sans doute, que les bijoux soient porteurs de la mort.
Sylvaine était autant inquiète qu’enthousiaste. Serait-elle à la hauteur ? Sur son blog, elle se présentait comme une écrivaine quadragénaire aguerrie. Son dernier roman avait été bien accueilli par le petit cercle de ses amis lecteurs. Malgré tout, ses œuvres restaient cantonnées à des tirages confidentiels. Sa page Facebook stagnait. Mais le mois dernier, une de ses publications avait fait l’objet de nombreux partages, si bien que Sylvaine avait commencé à y croire.
Quand des femmes seules, encore jeunes et jolies disparaissent, c’est une des pistes prioritaires. Mais la plupart du temps, on les retrouve violées et mortes. Or, dans toute la liste, aucun corps n’avait été retrouvé. Et puis autant il appréciait Nobody pour les informations qu’il apportait, autant il n’aimait pas ses conseils sur la façon de mener les recherches. Cependant, l’interlocuteur était à ménager à cause de ses contributions.
Il ne put s’empêcher de lorgner les cuisses bronzées largement dévoilées lors de l’installation de la conductrice au volant. Il s’interrogea. Cette exhibition était-elle volontaire ? Il s’obligea à reprendre ses esprits et releva les yeux. La femme semblait déterminée. Ce n’était pas pour lui déplaire. Il les aimait avec du caractère. Ce petit jeu le ravissait. Il rendit momentanément les armes.
Les gens s’écartaient pour laisser passer cette femme vêtue d’un jean délavé et d’un tee-shirt orné d’une mention provocatrice. Ils ne voulaient pas d’histoires et faisaient mine de ne pas la voir. La plupart imaginaient une voleuse s’enfuyant après avoir arraché un bijou ou une montre à un passant.
Les deux jeunes mariés restèrent un instant, immobiles, les yeux dans les yeux. Puis la bouche d’Arnaud s’approcha lentement. Celle de Stella partit à sa rencontre. Les lèvres s’ouvrirent et les deux langues s’entremêlèrent. Stella ferma les paupières pour mieux savourer l’instant présent.
Pour ma part, je n’ai pas la prétention de démasquer de futurs criminels, mais plutôt des tueurs qui sont déjà passés à l’acte, qui n’ont pas encore été arrêtés et qui peuvent récidiver. Je voudrais proposer une méthode pour anticiper les prochains meurtres de ces individus.
Sa force de caractère eut finalement raison de son complexe. Elle se releva, dégrafa le soutien-gorge de son deux pièces et le retira, puis elle fit glisser le slip à ses pieds. Une fois nue, elle s’empressa de se rallonger sur sa serviette comme pour paraître moins visible.