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3.48/5 (sur 21 notes)

Nationalité : France
Né(e) : 1963
Biographie :

Alain Giorgetti est auteur, réalisateur de documentaires, plasticien.

"La nuit nous serons semblables à nous-mêmes" (2020) est son premier roman.

Originaire de Hussigny-Godbrange, il vit à Strasbourg.

son blog : https://alaingiorgetti.tumblr.com/

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Coup de projecteur sur les livres des auteurs de la région Grand Est parus entre janvier et juin 2020. Ces livres ne parlent pas de la crise mais la crise les a laissés en attente de lecteurs sur les tables des librairies, sur les rayons des bibliothèques, dans les cartons des distributeurs et dans l'attente des rencontres littéraires et des dédicaces. Plus de temps à perdre! Découvrez les, offrez les, partagez les pour vos lectures d'été et rendez-vous en librairie ou sur le portail des libraires de l'Est https://www.librairesdelest.fr/ Alain Giorgetti site https://alaingiorgetti.jimdofree.com/ Blog https://alaingiorgetti.tumblr.com/ Alma éditeur https://bit.ly/3hzNW5M Retrouvez les dernières parutions, le magazine du livre en Grand Est "Livr'Est", l'annuaire des auteurs et l'agenda des manifestations littéraires de la région Grand Est : http://www.interbibly.fr Interbibly est une association professionnelle de coopération régionale entre les acteurs du livre, de la documentation et du patrimoine écrit https://www.facebook.com/Interbibly/ https://twitter.com/Interbibly https://www.instagram.com/interbibly/?hl=fr

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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Des nouvelles nous sont parvenues sur l’état de la mer :
Une tempête s’est produite loin, très loin de nos cotes.
Sur les plages, des membres dispersés, des débris d’hommes
Racontent plus qu’un grand naufrage
Et dénoncent plus qu’une furieuse injustice.
D’où venaient ces gens,
Ce ne sont pas ces quelques poutres, elles mêmes brisées, qui nous l’apprendront,
Ni ces coffrets épars sur le sable, hermétiquement fermés,
Et qu’aucune force humaine n’est venue à bout d’entrouvrir,
Si bien qu’il les a fallu enterrer avec leurs secrets…
La nuit, parfois, le long de la mer un cri s’élève,
Qui s’éteint quand nous nous approchons,
Comme si une âme souffrait là parmi nous,
Comme s’il y avait là un regard que nous ne parviendrons jamais à rencontrer…
Deux fois la mer a rejeté ces débris vers nous dans de grands spasmes,
Les vents se sont déployés comme des chevelures violentes.
Un grand naufrage s’est consommé dont nous ne saurons jamais rien,
Mais qui nous ouvre à des choses dont nous sommes inconsolables.
Depuis ce jour, nos hommes se sentent seuls,
Et une lourde tristesse, plane sur nos îles.

Paul Gadenne.
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Il fallait accepter que, le temps d'un voyage qui n'en était pas un, d'une aventure qui n'en était pas une, la vie vaille six mille dollars ici, dix mille là, au gré des règles et des barèmes qui nous ramenaient à l'état d'objets, de marchandises. Combien étaient-ils sur la barque qui nous a fait basculer dans l'eau? Ou plutôt, qui étaient-ils? D'où venaient-ils et pourquoi, comment, quels étaient leurs noms, leurs histoires, leurs visages? Un accident a fait trois victimes. Un incendie a fait treize victimes. Une explosion quarante sept. Une bataille deux cent soixante. Une avalanche, une coulée de boue, une éruption volcanique plusieurs centaines et le seul séisme de la terre de Jiaping, au Shaanxi, quelque 830000 morts en 1556. Mais ici, mais nous, rien.Personne ne sait rien , et personne ne saura jamais rien. Mariés ou célibataires. Seuls ou accompagnés de leur famille. Un enfant, deux enfants, quatre ou sept. Bien portants ou souffrant de maladies, et si oui, lesquelles. Riches, pauvres, misérables. Bons, braves, amicaux, désespérés, joyeux, fraternels, vindicatifs, amoureux, conspirationnistes, belliqueux, mélancoliques, artisans, syndicalistes, édiles, soldats, médecins, jongleurs, poètes, danseurs de corde, hommes, femmes, enfants, nourrissons. Rien. Rien mais des chiffres dans les journaux, des bulles médiatiques, des images aussi intenses que fugitives dépourvues de centre et de circonférence. Filaments grisâtres traînant au bas d'un nuage limbique, poussé par le vent.
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Alain Giorgetti
Est-ce que tu sais comment ils appellent les camps de réfugiés ? Des « jungles » petit-frère. T’as bien entendu, des jungles. Mais on est où là ? Ils ont perdu la tête ou se l’enfonce dans le sable. Ils font exprès, c’est ça ? Ils ont tout oublié ou font semblant d’oublier ? Nous sommes la mémoire dont certains ne veulent pas.
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Parmi ceux qui attendaient avec nous, dans les dunes, certains en étaient à leur deuxième ou troisième tentative. Pourtant ça ne semblait pas les inquiéter outre mesure cette histoire de vingt minutes et de jauge de cent cinquante passagers ? C’est vrai, tu as raison, mais tout ça peut changer très vite, disait John. J’ai parlé avec le Cap, il est bien placé pour savoir combien les passeurs sont aux ordres. Ces mecs peuvent faire changer d’itinéraire à n’importe quel moment. Comme ils nous font changer de véhicule, tu vois bien. La seule chose dont je sois sûr, c’est que personne ne nous demandera notre avis. Méfiez-vous de tout le monde, avait dit et répété l’Oncle Virgile. Votre passage est prépayé. Quand vous arrivez là-bas vous appelez ce numéro, et ils encaissent. S’il y a le moindre problème, c’est moi que vous appelez. Je ne quitte pas mon téléphone tant que vous êtes sur les routes. Il pouvait y avoir les douanes, sur terre et sur mer. Les garde-côtes, l’armée même. Il y avait des rumeurs à propos d’avions aussi, d’hélicoptères qui rasaient le bord de mer pour faire peur. Il pouvait y avoir d’autres passeurs qui rachetaient les bateaux et les passagers allant avec. Des pirates même, tout pouvait arriver. Nous arriver. On parlait beaucoup de tout ça dans le camp, plutôt le soir, autour d’un café ou d’un brasero. Tout ça était vieux comme le monde. Les passeurs, les pirates, l’exil, le trafic, l’argent. Les gens faisaient probablement ça depuis des siècles. Aller d’île en île, d’une rive à l’autre, d’une frontière à l’autre sans demander leur autorisation ni aux États, ni aux gouvernements, ni à personne parce qu’ici, c’est chez eux. Transporter des choses dans un sens et dans l’autre. Transporter des gens. S’il y a bien un endroit de la mer, il y a des milliers de passe-droits. Les dieux, les héros, les rois, les conquérants, les capitaines, les soldats, les galériens, les corsaires, les croisés, les marchands, les pilotes, les pêcheurs, les plaisanciers… des populations entières ont vécu de cette manne infinie, de ce no man’s land sans bornes qu’est la mer. Une côte découpée, des criques à profusion, des plages inaccessibles, des archipels compliqués, des passes dangereuses, des vents violents. Tout, ici, dialoguait avec les éléments classiques de la tragédie. Depuis des siècles, les populations locales naviguent, commercent, prospèrent. Et les belles villas sur les hauteurs, les équipements sportifs, les rues bien entretenues, la Capitainerie ultramoderne du petit port, cette impression d’harmonie que l’on pouvait ressentir, de loin, toutes ces choses avaient une histoire autant qu’un prix. Un peu comme si la beauté masquait trop bien le danger. Comme s’il n’y avait pas d’écueils, de courants sournois, de hauts-fonds intraitables. Au fil des veillées, il se disait beaucoup de choses. Les on-dit, les potins, les calomnies se faisaient et se défaisaient d’eux-mêmes. Par contre, tout ce qui concernait les détails de la géographie locale, les relevés météorologiques, les histoires de marins et de pêcheurs, les erreurs de navigation, les naufrages célèbres, les sauvetages et tous leurs détails intéressaient au plus haut point la majorité d’entre nous. Chacun constituait ainsi une petite base de données. Noms de personnes fiables ou pas, âge des bateaux, réputation des équipages, des ports d’accueil, des ONG, des services de police. Chaque fragment de côte concentre son lot d’anecdotes, de spasmes et de souvenirs inconsolables. Certains écueils recèlent la narration d’un livre. Avec des navires maudits, des capitaines courageux, des hommes et des femmes, des enfants qui pleurent et des fantômes qui naissent. En face du port, à moins de deux kilomètres, il y avait ce que nos intermédiaires appelaient « l’archipel des légendes ». On pouvait soi-disant trouver des trucs sur internet. Mais le spécialiste de ce genre de choses au camp, c’était bel et bien Mauro. Il était avec nous depuis le passage de la frontière. Il avait dormi avec nous dans les bois et les ravins. On le remarquait facilement parce qu’il portait toujours son smartphone autour du cou, comme un bijou, une médaille. Mauro nous lut ce qu’il avait trouvé sur un site en anglais. L’archipel des légendes était un nom trompeur.
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Alain Giorgetti
Depuis que je suis échoué, je fais les cent pas dans les couloirs de mon existence. Je vais, je viens, je reviens avec l’illusion de mener une conversation avec moi-même, alors que je ne fais que suivre le mouvement qui m’est imposé. Serais-je capable, là, tout de suite, de m’arrêter de penser à tout ça, et de me lever comme un seul homme ? De replier mes jambes, de pousser sur mes coudes et de foutre le camp de cette putain de plage ? Non. Je ne parviens pas à fixer quoi que ce soit. Je veux dire, qui pourrait ressembler à de la réalité. A un morceau de réalité, quelque chose pouvant être saisi par mes yeux à défaut de l’être par mes mains. J’aimerais pouvoir suivre des traces, mettre mes pas dans ceux de quelqu’un d’autre. Mais il n’y en a pas. Qu’est-ce que je fais là ? Je ne devrais pas être là ou plutôt, je ne devrais plus y être. Ce n’est pas ce qui était prévu. Vingt minutes de traversée, une demi-heure au plus…
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Mes chers amis, cette obscure période a trop longtemps étendu son ombre sur les corps comme sur les esprits. La période des mensonges d’État n’a que trop duré. L’heure est venue de faire entrer la lumière dans les plus sombres placards de la République française, et de faire enfin la paix avec les fantômes qui offusquent l’horizon. Je suis venu vous dire qu’il est temps de mettre à jour notre mémoire partagée. Qu’il n’est plus possible que d’anciennes querelles nous demeurent les plus vives. Seul, à présent, nous importe d’y remédier et de s’engager ensemble sur le chemin de la justesse et de la justice. Aujourd’hui, la recherche conjointe et continue de la vérité n’est jamais qu’un autre nom de cette aspiration à la liberté que nous chérissons tous. Au nom de la France, je veux vous proposer de mettre un terme définitif aux avatars d’une prétendue guerre des mémoires qui n’est pas, qui n’est plus la nôtre. Depuis plus de soixante ans, alors que les chercheurs, les écrivains, les journalistes et les témoins ont fini de documenter crimes et méfaits coloniaux, nos mémoires nationales demeurent contrariées, alors qu’elles ne devraient fonder qu’une seule et même réalité. Un seul et même corpus de connaissances porté par les livres d’histoire et les consciences individuelles. Ainsi l’histoire du colonialisme français en Algérie fourmille-t-elle déjà de traitements analytiques et archivistiques futurs, que les pistes ouvertes par le passé doivent inciter à poursuivre, voire à dépasser. Il n’est plus temps d’avoir raison ou tort quant aux erreurs et aux horreurs du colonialisme qui, comme l’ont démontré Simone Weil, Aimé Césaire, Frantz Fanon ou Hannah Arendt, est une autre forme du totalitarisme. Il est un peu trop facile de prétendre, aujourd’hui encore, ne pas avoir à s’exprimer sur ces sujets au prétexte que l’on soit né après 1962. Car si la France continue de bénéficier indirectement des fruits du colonialisme, l’Algérie quant à elle continue d’en subir les conséquences. Il s’agit donc pour nous, désormais, d’être du côté de la vérité historique. Du côté de la justice. De la raison. Il nous revient d’être plus raisonnables que nos devanciers. Sans mollesse ni fanatisme, quitte à penser contre nous-mêmes.
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Au bout du chemin muletier, entre Les-Hauts et les premiers alpages, notre Zamti habitait une fermette tout droit sortie d’un conte pour enfants. C’était la première fois que nous quittions la ferme si longtemps. Très vite nous avons senti que nous prenions des forces là-haut. Mais ce qui changea en partie le cours de notre existence, c’est que Maman commença à nous raconter ses histoires. Sans télévision, sans radio et sans livres, la petite maison paraissait bien vide, le soir. Repoussant nos cauchemars, c’est à cette période qu’elle inventa ce monde parallèle qui nous habite encore aujourd’hui. Un univers bis où notre père est un personnage de fiction. Soir après soir, elle le faisait évoluer dans notre normalité. Ce n’est pas un jeu, disait-elle. C’est la réalité que tous les trois, ensemble, nous jetons à la face du destin. C’est un petit signe qu’on envoie à votre père, où qu’il soit vous comprenez ? Alors c’est ça, me suis-je dit sur le coup. Elle aussi elle pense qu’il va revenir. Que c’est obligé. Il va revenir en empruntant le petit chemin de terre. En plein midi cette fois, pour annuler la tragédie de son arrestation nocturne ? Et habillé le plus dignement possible. Il ouvrira la porte de la cuisine, et il ira s’asseoir à sa place, à droite de votre grand-père. Et sa place sera tiède. Sa chaise ne sera pas froide. Elle ne sera pas de marbre, vous comprenez ? Et il parlera, ou il se taira, peu importe. Dans les deux cas, nous l’écouterons. Nous tournerons nos chaises dans sa direction et nous l’écouterons. Nous verrons enfin les mêmes choses que lui.
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Satellite en perdition, je suis passé en quelques secondes à travers toutes les couches atmosphériques du sentiment humain. Je n’ai pas eu le temps de voir rouge. Ce fut tout de suite noir en apercevant leur tas de tôle sur le parking. Comburant et combustible à la fois, j’ai pris feu. Personne n’aurait rien pu faire. Ni pour eux ni pour moi. La portière à peine ouverte, que je pouvais déjà les entendre rire gras et parler haut, lovés dans leurs sales habitudes comme des rognons de porc dans leur graisse. Mes oreilles sifflaient si fort. Bonsoir, monsieur, vous avez réservé ? J’ai tout de suite reconnu la jeune femme qui, quelques semaines plus tôt, nous avait aimablement servis avec Hélène. Mais pas elle. J’ai dit que je venais pour la réunion avec les frères Kocher, et elle m’a indiqué l’étage en souriant. Comme les flics me l’apprendraient plus tard, quelque chose sur mon visage avait dû cependant l’alerter, car la jeune femme avait couru chercher son patron alors que j’étais encore dans l’escalier. C’est comme le sens de l’orientation. On l’a ou on ne l’a pas. C’est le genre de guerre qu’on porte. Un truc qui pousse en dedans. Qui grandit en même temps que soi avec l’aisance d’un souffle au cœur. Tout le monde ne se laisse pas happer ainsi. Alpaguer, ronger, corroder par des choses qui s’ouvrent à l’infini. Par des blessures qui ne se referment jamais. Des chagrins plus profonds que l’océan. Tout ce sur quoi l’on s’appuyait jusque-là ne fait plus guère le poids. Cède sous l’aiguille de l’instant. Le galbe d’une seconde. Tout s’absente tout autour. Le brouillard se lève d’un coup, et le soleil assassin se plante dans le front jusqu’au ventre, clouant au passage le cœur et la raison. Le monde entier tombe comme un vieillard dans la neige. Les autres, le visage des autres fond comme de la cire. Tout se dissipe derrière une paroi de verre. Les voix connues ne portent plus. Les souvenirs fléchissent. Le temps et l’espace alimentent un autre circuit. Le métabolisme en prend un coup. Le cerveau se vide. Le système sanguin se fige, je ne sais pas. Toujours est-il que ça finit par former une gangue. Un réseau de mécanismes et de réactions offrant une issue tangible aux événements malgré la dégradation de toute pensée réflexive. Dans ce mouvement de balancier intime, une pression instantanée s’empare des os crâniens, jusqu’à l’implosion.

J’étais sur une crête, avec, de chaque côté, le même précipice. Net et précis, dégagé de tout le reste, tel un glacis militaire. J’ai suivi des traces invisibles, et, machinalement, une série de faits et de gestes a fini par surgir. J’ai pénétré dans cette histoire à la manière d’un personnage. Je me souviens de mes premières sensations de picotements en rencontrant Hélène. En rencontrant le chalet, et finalement la vallée tout entière. Je n’avais qu’une envie : me gratter les avant-bras jusqu’au sang comme d’autres se pincent pour adouber le réel. La situation avait tout pour n’être qu’adorable, et moi, j’étais plus nerveux qu’un chiot. J’aurais peut-être dû m’en souvenir en gravissant les marches du 1er étage de l’Auberge. En plus, j’avais oublié la cagoule de camouflage achetée sur Amazon. Elle n’aura donc jamais servi. Elle doit toujours être dans la boîte à gants du 4 x 4 d’Hélène. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à me le figurer, mais il paraît qu’en entrant j’arborais un « étrange sourire ». Plus aucun picotement donc. Plus aucun prurit. Des fois, je me dis que tout s’est passé dans cet escalier. Que c’est en grimpant trop vite ses marches que je me suis en quelque sorte dépassé, nié moi-même. Normalement, je n’aurais jamais pu faire ça. Un ectoplasme, un double maléfique, un autre moi-même sans lumière dans les yeux. Quelqu’un que je ne connaîtrais pas. Quelqu’un qui n’aurait pas eu exactement la même vie que moi. Qui n’aurait pas été élevé par mes parents. Qui n’aurait pas épousé Sarah et n’aurait pas eu d’enfants avec elle. Rien de tout cela. Rien de cet homme-là. Seulement quelqu’un qui aurait rencontré Hélène. Mais c’est faux. C’est débile et c’est faux. L’histoire était déjà derrière moi. Le sang n’était plus qu’un détail.
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Des dessins sur les portes des parties communes. Des tags sur les palissades et les vieux meubles. Des objets abandonnés qui rouillent à droite à gauche. Des cairns, gravés de noms propres, en haut de la colline. De nombreux Pérégrins étaient passés avant nous. D’autres arriveraient bientôt, qui étaient déjà en route, quelque part, à l’est de la côte. Bien que les informations de nos jours circulent à la vitesse de la lumière, il y a quand même un nombre extraordinaire de choses que l’on ne sait pas. Que personne ne sait. Y compris parmi nos Zôôôtes, comme disait Ida. Ils ne nous communiquaient aucune information. Restaient entre eux la plupart du temps. Lorsqu’un ordre leur parvenait, ils l’exécutaient sans broncher, comme de braves petits soldats. Et ils allaient où on leur disait d’aller. Un peu comme nous, en vérité. En théorie ils ne doivent pas se poser de questions. La méconnaissance qu’ils ont de nous tous et de chacun formant une muraille de protection. Ne rien savoir sur personne est moins risqué, surtout lorsque ce risque se nomme empathie ou compassion. Ne laisser naître aucun sentiment. Parler le moins possible, même s’ils ne peuvent s’empêcher de s’adresser aux femmes du camp. Aux plus jeunes de préférence, et plus encore à celles qu’ils trouvent jolies. Quelquefois ils parlent aux enfants accompagnés d’une mère célibataire ou d’une grande sœur. Les informations nous viennent donc majoritairement de l’extérieur et, un peu, de leur concupiscence.
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Je l’avais déjà vue plusieurs fois au même endroit, le vendredi. Rouge, crade, maculée de rayures et de boue, la vieille jeep des frères Kocher était connue dans la région. Je l’ai avisée de loin, leur tire, bien avant d’arriver en trombe sur le parking, façon pilote de rallye. J’ai jeté un œil dans leur coffre, et j’ai vu les fusils de chasse, sous la couverture à carreaux, aussi mitée que leur âme. Maintenant que j’y pense, je me dis que, s’il n’avait vraiment rien eu à se reprocher, ce cher Bastien, en tant que maire du village, n’aurait sûrement pas planqué son 4 x 4 derrière la grange lors d’un rendez-vous avec les Frères. Comme je l’ai dit aux flics, moi, je suis sûr de ne pas l’avoir vue sur le parking de l’Auberge sa grosse caisse. Je sais bien que c’est un détail à la con, mais j’en suis sûr et certain de ce détail. Tout le monde savait qu’ils se réunissaient là le vendredi soir, ces salopards. Même moi. Mais je voulais leur tomber dessus par surprise. Je voulais frapper le premier. Décidément, j’aurai été naïf d’un bout à l’autre de cette histoire. C’est vrai que, depuis plusieurs jours, les degrés étaient montés dans le tube du thermomètre. C’est vrai que je sentais mon crâne se remplir d’un liquide nauséabond, brûlant et glacial à la fois. J’avais une boule au fond du ventre. Une bille d’acier qui s’échauffait toute seule, et remontait sous la pression, roulant de part et d’autre du squelette, depuis les os des membres inférieurs jusqu’à ceux de la mâchoire, que je ne desserrais plus. J’éprouvais des tremblements inexpliqués. Des clignements de paupières intempestifs. Des crampes à des endroits insoupçonnés. Je passais des heures sur Internet à diagnostiquer des maladies improbables. Bref, il se passait quelque chose. Mon métabolisme changeait. Un alien avait pris possession de moi, dont la puissance étouffait tous les silences. Il avait pris racine dans mon corps aussi bien que dans mon esprit. Il germait dans les interstices clairs-obscurs des heures. Il s’imposait à coups de marteau, et le soir, à l’ombre de ces mêmes heures, broyait ensemble toutes mes idées, qui se mettaient à hurler, en me raclant le fond du crâne. Impossible de penser à autre chose. Impossible de penser tout court. Noires scories du paysage. Murmuration d’oiseaux. Phrases déchirées en l’air, j’aurais pu, j’aurais dû le voir arriver de loin ce putain de tsunami existentiel. Tous les signes avant-coureurs étaient là, comme des paquets de signes typographiques à déchiffrer, à étaler sur la table, à remettre dans l’ordre, et à faire parler. Tout ça était forcément écrit quelque part. Quelqu’un tenait la plume. Quelqu’un savait. D’un côté ou de l’autre de l’horizon, d’un côté ou de l’autre de ma vie, quelqu’un tirait les ficelles. Tu parles ! Rien. Ni vu ni connu. Pauvre type. Au lieu de passer ton temps à te promener sous les arbres. À goûter la forêt par tous les pores de la peau, comme l’écrira un jour Hélène dans sa lettre, des années plus tard. Toute cette attention dont tu te vantes parfois, alors que ton sang bouillait déjà. Que ta douleur couvait sous les fougères. Que ta vérité s’ouvrait comme une rose en plein hiver. Pourquoi seulement maintenant ? Pourquoi les choses, toutes les choses semblaient-elles ne pouvoir s’éclairer que maintenant, bruyamment, comme pour se faire mal ? Plus mal encore. Désormais, je l’avais. Je le connaissais. Je le ruminais lentement ce goût étrange dans la bouche que savent les criminels. Étrangement proche de l’adrénaline, en un peu plus acide. Un peu plus violent. Depuis tout ce temps, ma tête, depuis tout ce temps, mon cœur, depuis tout ce temps, mes mains et mes pensées ne tendaient donc que vers une seule et même chose. Chose que moi seul, visiblement, ignorais.
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