Alain Joly

La signature n'est pas celle de Bach, elle est celle de Bach chrétien, Bach dans le manteau de la grâce. Bach donne transparence au sacré et lui donne tout l'honneur. Mais c'est lui aussi, simple, intelligent, mortel...architecte d'un art étonnamment complexe et limpide, alchimiste des nobles artifices. Car Bach est enfin un homme. Et le doigt de Dieu qui touchait alors en lui l'instrument de sa grâce éveillait en lui un luth spirituel de l'aurore pour qu'on entende, en promesse tenue, le langage d'invitation à la Joie.

Bach ne rejoint ni la sagesse, ni l'homme, ni l'éternité. Ce sont la sagesse, l'homme et l'éternité qui le rejoignent. C'est tellement bienfaisant de trouver Bach en partage ! Parce qu'une colonne vertébrale le relie à la douce promenade spirituelle d'En Haut, parce qu'un enracinement , ancré dans une des cultures et confessions de foi chrétienne, lui assure la circulation de la sève nourricière, parce que le réalisme du corps assumé l'arrime pareillement sur la terre et au ciel, parce que l'éternité s'entrouvre à sa disponibilité, Bach est supérieurement repérable, et transcendant.

J'invite simplement les lecteurs (...) à la rencontre d'un être intérieur lumineux, vivant dans un monde pensé et assumé, et dont la musique exprime ensemble le meilleur de l'aspiration au divin et quelque chose que l'homme est en capacité de recevoir d'au-delà de lui-même.

Je ne sais si, d'une réminiscence de Bach, a jailli la chanson d'hommage à l'amie disparue dans un accident de voiture, un jour d'été 1965, sur une route près d'Aix-en-Provence, mais je ne peux entendre "Une petite cantate" composée par Barbara en souvenir de Liliane Benelli, sa pianiste, sans y discerner le murmure de Bach et de ses anges.
« Les anges la joueront pour toi, cette petite cantate que nous jouions autrefois, les anges avec leurs trompettes la joueront pour toi, cette petite cantate qui monte vers toi... »
Ecrite en quelques jours, "Une petite cantate" fut enregistrée le 30 septembre 1965.
Bach, et ses anges.

Lorsque, ne saisissant pas tout ce que véhicule la musique de Bach, nous sommes cependant en route avec lui, il nous presse de ne pas abandonner la suite du chemin, d'espérer le "plus loin". Un soleil levant nous attend en chaque oeuvre et dans toute l'oeuvre de Bach. Pour en ressentir les rayons, qui éclairent et réchauffent, il ne faut point craindre d'aller "plus loin". En faisant retour dans sa musique, nous allons "plus loin", et le prélude annonce l'aurore.

Bach est humain, et cela ne le rabaisse d'aucune façon quand il écrit et joue pour les hommes. Il paraît convaincu qu'il y a une parenté entre les anges et les hommes, et le concert (...) range les uns et les autres au même auditoire. Tantôt les anges paraissent premiers servis, tantôt les humains. Au fait, non, ce sont toujours les humains qui écoutent ou n'écoutent pas, en église, au palais ou au café, à l'école et en famille. Simplement, les anges y sont aussi, et sans faire de bruit, avec le seul murmure de leur Gloria éternel, et surtout celui de la Nativité, ils assistent au mûrissement du recueillement et de la composition. Ils ont entendu, avant nous, ce que dans son intelligence, son cœur, son âme et son esprit, Bach a reçu et conçu. Et Bach aussi aime leur secrète visite. Elle le place devant Dieu.

Une disciple de Lao-Tseu, que la révolution culturelle chinoise n'avait pas réussi à détruire, médiatrice de trésors enfouis et lumineux, exhale les parfums de la sagesse contenus dans les intarissables sources que sont les "Variations Goldberg" et le "Clavier bien tempéré." Un chrétien enraciné, pasteur et universitaire, futur médecin de Lambaréné et prix Nobel, en révélant l'évidence poétique de Bach, réveillait une stature spirituelle dont la sève pouvait produire des fruits en terreau sans foi.
Un seul et même Bach parle à Zhu Xiao-Mei et à Albert Schweitzer.

Oui, le Christ de Johann Sebastian Bach est celui de Martin Luther. Celui de la compréhension de la bonté de Dieu, manifestée en Jésus-Christ, qu'en avait Luther. Les accents spécifiques de cette approche particulière à une tradition de la Réforme ne contredisent en rien les éclairages qu'en peuvent offrir d'autres familles confessionnelles de la chrétienté. Lorsque Bach parle la langue des anges, même avec un accent (luthérien et... allemand) , et singulièrement avec cet accent-là, il est compréhensible et recevable par tous.

L'"Ave Maria" de Gounod était conçu, dès 1853, comme une "Méditation sur le premier prélude de piano de S. Bach", intitulé dans la version définitive de 1859 "Mélodie religieuse adaptée du premier prélude de JS Bach, pour soprano ou ténor, avec violon solo, orgue, piano et orchestre." Un chant de prière emblématique de la foi catholique, revisité par le plus catholique des musiciens, puisait dans l'oeuvre du plus luthérien des musiciens une des très hautes expressions de sa beauté.

Sans cesse, la mémoire de la foi replace le croyant en la mémoire du Christ Jésus. Luther, dans les formulations concises de sa compréhension de l’Évangile, parlait d'un Christ pour moi, pour nous ("Christus pro me, pro nobis"), et d'un Christ qui mène l'humain devant Dieu ("coram Deo") en l'engageant ensuite à pratiquer l'amour envers les hommes ("coram hominibus"). Bach expérimente le Christ pour lui et pour tous, devant Dieu et devant les hommes.