AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Cleophyre_Tristan


Pierre Cambry parlait, tout en marchant, avec une simplicité si haute, que le cœur de Jean de Born en était remué. Le député reprit après un silence :
- Vous comprenez maintenant pourquoi je déteste Paris, comme me le reprochent mes collègues de la Chambre. C'est vrai : j'étouffe dans notre vie moderne, étriquée et conventionnelle. Les longues rues affairées m'ennuient. Les larges boulevards me paraissent étroits. Bien souvent, j'ai voulu donner ma démission et m'enfuir avec les miens dans ces prairies éternellement vertes. Ce n'est pas à vous que j'apprendrai que le devoir passe avant tout. Mais aussi, quand je redeviens libre, comme je sors vite de ma prison pour retrouver mes torrents, mes forêts et mes montagnes ! La rivière me chante si gaiement la bienvenue lorsque je parais au bout de l'allée de tilleuls ! Je vous confie cette faiblesse : j'ai la prétention de savoir me faire aimer des animaux et de la nature : entre nous, cela vaut mieux que de se faire aimer des hommes. Regardez combien ce paysage est beau, et dites si l'on n'a pas le droit d'être fier de ces amis-là !
C'était admirable, en effet. Les deux hommes s'arrêtaient à mi-pente d'un petit coteau, d'où, par une échappée gigantesque, on découvrait la vallée tout entière. En bas, la Nive courait sur un lit de cailloux jaunes, entre deux rives très hautes, couvertes de chênes épais, que les masses feuillues coloraient en bleu. Sur le coteau, un garçon de charrue, avec cette allure fière et un peu hautaine des Basques, piquait ses bœufs en chantant un "roumanz", et les ruminants lourds poursuivaient vaguement leur rêve commencé. À l'horizon, une pointe de clocher, pareille à un oiseau, s'envolait vers le ciel. Plus près, un champ de sarrasin rouge étalait ses tons crus à côté des luzernes et des maïs aux panaches blonds. Çà et là, des maisons étincelaient, toutes blanches, ainsi que des agates enchassées. L'odeur fraîche et pénétrante d'une matinée de juin imprégnait l'air du parfum âcre des foins mouillés, pendant que les bruits de la rivière semblaient une orchestration brodée sous la mélodie des oiseaux et le bruissement du vent d'ouest dans les feuilles. Très loin, debout comme des citadelles grises, les Pyrénées noyaient leurs cimes dans les nuées. Et, sur ce large paysage, des rayons de soleil plaqués au hasard sur les eaux, les maisons, les arbres, les champs et les montagnes, si hien qu'on eût dit des vagues d'or ou des cascades de lumière éblouissante.
Et Jean de Born regardait l'homme après avoir regardé le paysage : le portrait dans son cadre. L'un était digne de l'autre. Ce robuste montagnard, aux épaules larges, avait quelque chose de la montagne. Il était calme, et puissant comme elle. Les yeux noirs, profonds et semés d'éclairs, illuminaient la tête énergique et fière, déjà toute grise. Le teint brun, les lèvres rouges, les dents blanches, prêtaient au visage un aspect oriental; et les cheveux abondants, rejetés en arrière, ainsi qu'une crinière de lion, découvraient un noble front plein de pensées.
- Mais j'oublie que vous êtes un Parisien, dit Pierre tout à coup, et comme tel vous ne devez guère aimer la nature.
- Je l'avoue, répliqua Jean en se remettant à marcher. La nature ? Quelle invention bête ! Le plus beau paysage ne vaut pas un décor d'opéra.
Commenter  J’apprécie          11





Ont apprécié cette citation (1)voir plus




{* *}