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Citation de Cleophyre_Tristan


Un peu avant midi, la cloche sonna le déjeuner. Il fallait se håter, car de toutes parts, de Cambo, d'Ustaritz, de Bayonne, les invités ne tarderaient pas à arriver pour les fiançailles. Le dernier coup tintait encore lorsque Espérance entra, escortée du colonel.
- Où donc est miss Bethsabée ? demanda Pierre.
- Elle a la migraine, répliqua mademoiselle Jordan, un peu embarrassée.
- Hum ! Une migraine de kiosque !
Madame Cambry fit les présentations en règle.
Le colonel eut un petit grognement en retrouvant Jean de Born; mais il devait s'humaniser bien vite. Seule, Espérance restait triste. Elle sourit à peine en entendant un paradoxe que développait M. de Born avec un certain aplomb.
- Comment ! lui demandait Thérèse, vous osez soutenir que la nature est une invention bête !
- Certainement, madame. Je suis franc, moi. Je dis tout haut ce que les autres pensent tout bas. La nature, la campagne... C'est insupportable ! On marche dans une allée ? Immédiatement, on avale une foule d'insectes invisibles à l'œil nu. On s'asseoit sur l'herbe ? Bon. On attrape un rhumatisme. On veut contempler un beau crépuscule, spectacle généralement vanté par messieurs les paysagistes ? Aussitôt, une voix amie vous crie prudemment : "Prenez garde au serein !". Si j'aime la chaleur, et que je sorte à midi : "Vous allez avoir la migraine !" Si j'aime la fraicheur et que je sorte à neuf heures du soir : "Fuyez l'humidité !". Comme la campagne est ridicule à côté du bitume qui ne salit pas les pieds, des arbres en zinc où il n'y a pas d'insectes, et de la lumière électrique qui ne donne jamais de coups de soleil !
- Ma foi, dit gaiement M. Cambry, c'est la première fois qu'on ose affirmer si carrément que la campagne est haïssable.
- Aussi haïssable qu'Auguste ! appuya le colonel de sa voix cassante.
- Par grâce, monsieur Cambry, s'écria Jean, ce qu'est-ce que c'est qu'Auguste, neveu bizarre dontre lequel M. Mornier nourrit une haine si farouche ?
- Taisez-vous, Cambry, répliqua le vieillard, C'est moi qui vais répondre. Figurez-vous, mоnsieur, qu'Auguste me dorlotait, me flattait, m'enguirlandait : "Mon bon oncle, combien je suis heureux que vous demeuriez avec moi", "Mon bon oncle, je veux entourer vos vieux jours de tendresse et de respect !"... Ah ! Il s'en souciait bien de mes vieux jours ! Il me racontait qu'il lui fallait un gros capital pour se marier richement. Bref, j'ai été assez bête pour faire à ce garçon, moyennant une rente, la donation entre-vifs de tous mes biens, meubles et immeubles. Et le lendemain...
- Le lendemain, on s'est fâché avec vous ? Mais c'est la vie, cela.
- Mon dernier parent qui me chasse de chez lui !... Et je l'aimais, cet Auguste... Oui, je l'aimais comme un fils ! Quand on n'est plus qu'une vieille culotte de peau, on n'accepte pas aisément l'idée de mourir seul, tout seul, comme un chien. Moquez-vous de moi, si vous voulez. Je suis malheureux. Oh ! Bien malheureux, allez !
Il pleurait presque. Sur ce visage parcheminé par le temps, et tanné par les nuits de bivacs, on lisait une douleur vraie. Et l'émotion des vieillards est plus remuante que celle des homme mûrs, parce qu'elle est plus rare. Jean eut le remords de toutes ses plaisanteries passées. Il tendit la main à M. Mornier :
- Pardonnez-moi, monsieur. Vous avez été dupė ? Vous avez souffert ? Eh ! Mon Dieu, c'est un peu le lot de tout le monde, ici-bas.
Le déjeuner s'achevait. Pierre Cambry vint à Jean.
- Notre ami se trompe, dit-il. Son neveu n'est qu'un imbécile. C'est sa sœur, la mère d'Auguste, qui est coupable de tout. Imaginez-vous que le colonel tremble comme une feuille devant elle. Si jamais vous rencontrez madame veuve Euphémie Dortet, étudiez-la; elle en vaut la peine. C'est un type très curieux. D'ailleurs, quoi de plus intéressant pour un Parisien que les mœurs de province ? Vous assisterez tout à l'heure à notre fète. Regardez de vos deux yeux, écoutez de vos deux oreilles. Vous ne vous plaindrez pas de voir et d'entendre.
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