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Citation de Dorian_Brumerive


- Je désire te faire toute ma confession. Quand ta mère est morte, j'étais déjà riche. Je pouvais me contenter pour nous deux d'une aisance large qui eût été le bonheur. Je ne sais quelle fièvre d'ambition m'a brûlé l'âme. J'ai rêvé l'une de ces fortunes quasi-royales, du haut desquelles on domine son époque. J'étais grisé par la diabolique fascination de l'argent.
Il se leva et fit quelques pas dans le salon. Puis, d'une voix plus chaude :
- L'argent ! Tu ne sais pas quel affolement s'est emparé des cerveaux depuis quinze ans. J'ai cédé à la contagion. Je n'ai vécu que pour la fortune. Lorsqu'on est en proie à cette folie, on ne s'arrête plus. On veut monter, toujours monter. Un jour la chance tourne. On roule du haut de son rêve : c'est la ruine.
- La ruine ? répéta Espérance.
- Oui.
Le visage de la jeune fille s'éclaira :
- Tu n'as pas d'autre malheur que celui-là ? Tu n'es que ruiné ? Quel bonheur !
Il la regarda, stupéfait. Alors, elle se rapprocha de lui, et, doucement, tendrement :
- Tu me disais que tu avais bien des choses à te reprocher vis-à-vis de moi ? Tu n'en as qu'une. C'est d'avoir été trop souvent séparé de ta fille. Je n'ai pas connu ma mère; mais tu as fait tout au monde pour la remplacer. Que de fois, lorsque j'étais petite, je t'ai vu t'asseoir à côté de mon lit ! Je fermais les yeux. Tu croyais que je dormais. Je ne dormais pas, je te regardais. On ne se méfie pas assez des enfants. Dans leurs petits cerveaux, ils gardent tout un monde de souvenirs. Et puis, ils ont l'instinct de ceux qui les aiment, et je sentais ta tendresse si ardente qu'elle m'enveloppait tout entière. Plus tard, je t'ai vu passer au travail tes journées et une partie de tes nuits. Je te savais riche c'était donc un besoin pour toi que ce labeur acharné. Je me suis tue. Mais je devenais jalouse du travail : je ne t'avais pas assez souvent. Aujourd'hui tu es ruiné : tant mieux ! Tu te reposeras. Tu vivras entre Martial et moi, entre ton fils et ta fille. Nous te rendrons bien heureux, va ! Tellement heureux qu'en regardant les millionnaires de ce bas monde, tu diras : "Comme ils sont pauvres !".
Elle semblait toute joyeuse. Ses yeux étincelaient, Elle fronça le sourcil en voyant que son père secouait tristement la tête.
- Décidément, reprit-elle, tu avais raison. II faut que l'argent ait une bien terrible fascination pour que tu le regrettes ainsi, toi, si généreux !
- Ce n'est pas ma fortune que je regrette, murmura M. Jordan : c'est mon honneur.
Elle se leva et, d'une voix ferme :
- C'est impossible, tu te calomnies ! Tout autre que ta fille pourrait te croire. Moi, je ne te crois pas, et je répète que c'est impossible. J'ai entendu parler de toi par des gens qui ne me connaissaient pas. Tous - entends-tu bien ? -, tous te considèrent comme l'homme probe par excellence. Relève ton front ! Le découragement t'aveugle et t'empêche de mesurer le chemin parcouru. Tu as pu être malheureux, imprudent, mais déshonnête, jamais !
Cette fois, le cœur de M. Jordan se brisa. Il saisit sa fille entre ses bras et fondit en larmes. Elle eut peur. Cette explosion de souffrance chez un homme froid et maître de lui-même l'épouvantait.
- Je t'en supplie, reprit-elle, n'aie pas de secrets pour moi. Je dois étre non seulement ta fille, mais encore ton amie et ta conseillère.
Il s'écria, nerveusement, d'une voix entrecoupée :
- Tu as raison. Guide-moi, aide-moi. J'ai la těte perdue, je n'y vois plus clair ! Si tu savais... Voici deux ans que je commande un vaisseau qui faisait eau de toutes parts. Je vais sombrer en pleine honte.
Elle dit fièrement :
- La ruine, oui pas la honte ! Donc, tout est sauvé !
- Pauvre enfant ! Tu ne juges la vie qu'avec ton cœur. Il y a huit jours, j'ai couru à Paris, j'ai fait argent de tout. J'ai vendu, liquidé, donné le coup de collier du désespoir... Inutilement. Demain, ma faillite sera déclarée.
- On pensera que tu as été malheureux.
- Non, car après-demain, ce sera peut-être la banqueroute.
- Et qui oserait dire cela ?
- Mes ennemis.
- Nous écraserons la calomnie. Elle ne salit que ceux-là qui l'inventent.
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