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Citation de Dorian_Brumerive


Personne ne se doutait que cette scène n'était que le prélude du drame. Une question de vie et de mort allait se trancher au milieu de ces jolies femmes, de ces hommes en toilettes et de ces corbeilles de fleurs embaumées. N'est-ce pas toujours ainsi d'ailleurs ? La vieille légende montre à gauche le masque qui rit et à droite le masque qui pleure. Elle cherche maintenant à s'accommoder avec les goûts hâtifs de la société d'aujourd'hui. Elle met les deux masques l'un derrière l'autre. Si bien que l'humanité rit et pleure en même temps !
M. de Hautmont prit le bras de Pierre sous le prétexte de lui montrer les aménagements introduits dans la villa. Ils commencèrent par se promener à travers les salons. Ensuite, le duc conduisit son hôte au jardin. M. Cambry attendait. Martial venait d'avoir une réparation publique. Lui, le mari de Thérèse, il voulait la sienne. Jacques entraîna le député derrière les arbres, près de la grille, à deux pas du boulevard. Là, personne ne les entendrait. Et d'une voix très basse :
- Monsieur, dit-il, j'ai bien réfléchi à notre situation commune. Vous avez raison. Un de nous deux est de trop. Malheureusement nous ne pouvons pas nous battre en duel. Je vous ai expliqué pourquoi. Il faut donc qu'un événement se produise, qui supprime, ou vous l'offensé, ou moi l'offenseur.
Il se tut une minute. Un profond silence les enveloppait. Il était onze heures du soir environ. Bayonne dormait. Le boulevard, entièrement désert, s'allongeait derrière eux. Les avenues s'étiraient dans la nuit avec leur double rangée de réverbères semblables à des lucioles tremblotantes. Dans la villa, on commençait à danser. On voyait passer des groupes de jolies femmes bien mises, ravissantes dans leur élégante souplesse. De temps à autre arrivaient des bouffées de musique cadencée, alternant avec des bouffées de parfums.
- Laissons le hasard prononcer entre nous, continua le duc. C'est encore ce qu'il y a de plus digne de nous deux.
Et, après une pause de quelques secondes :
- Jouez-vous le whist ?
M. Cambry fit un geste d'étonnement. Jacques ajouta :
- Oui ? Fort bien. Tout à l'heure, nous entrerons dans la salle de jeu. Je vous proposerai une partie de whist. Et celui de nous deux qui tirera la carte la plus basse... Eh bien, celui-là fera dans la vie, comme au whist... Il fera le mort !
- J'accepte, monsieur, dit simplement Pierre.
- Veuillez remarquer, monsieur, tous les avantages de l'expédient que je vous propose. D'abord, comme point de départ, une partie de cartes : donc rien que de très naturel. Ils sont bien malins, les provinciaux ! Je les défie de soupçonner quelque chose. Ensuite, il n'est pas question du coup de pistolet banal qu'on se tire dans la tête, n'est-il pas vrai ? Allons donc ! Vous et moi n'accepterions pas un pareil dénouement. Voyez-vous, M. Pierre Cambry ou le duc de Hautmont mis en faits-divers ! Sans compter les suppositions et les racontars. Au contraire, nous usons d'un moyen très simple. Si vous perdez, je n'ai pas de conseils à vous donner : un accident, une chute dans les Pyrénées, vous n'avez que l'embarras du choix. Si c'est moi...
Il soupira légèrement.
- Comment ai-je vécu, après tout ? En inutile. Eh bien, je finirai utilement... peut-être ! Les Carlistes sont à quelques heures. Je m'engage dans leur armée avec mon ami Jean de Born. Et d'ici quinze jours, une balle ou un éclat d'obus aura réglé mon compte. Au besoin, j'aiderai les Espagnols !
- C'est convenu, monsieur, dit Pierre Cambry.
Qui sait si bien des drames dans la vie n'ont pas un dénouement pareil ? On se promène en Suisse ou ailleurs. Le pied glisse... Un homme de moins; une tombe de plus ! L'oubli se fait vite. Les vivants ne vont pas demander aux morts leur secret. L'humanité est trop pressée !
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