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Citation de Cielvariable


La plupart des gens se souviennent de l’endroit où ils se trouvaient, et de
ce qu’ils faisaient, le 12 mars 2020, lorsque le premier ministre François
Legault a annoncé que «tout le Québec doit se mettre en mode urgence».
J’étais sur le plateau d’enregistrement de l’émission de télévision On
va se le dire, diffusée à Radio-Canada, avec l’animateur Sébastien Diaz,
la journaliste Nathalie Collard, l’humoriste Martin Cloutier et la comé-
dienne Léane Labrèche-Dor. Il était un peu passé 11 h. La conférence
de presse de François Legault n’était pas encore le point de ralliement
du Québec en entier. Au plus fort de la crise, en avril, plus de 3 millions
de Québécois se camperont devant leur téléviseur ou près de leur radio
pour apprendre les derniers développements dans la lutte à la pandé-
mie – l’équivalent des cotes d’écoute du Bye Bye, chaque jour.
Mais le 12 mars, c’est l’étonnement. Nathalie Collard, pendant une
pause publicitaire, consulte son téléphone et nous annonce, médusée,
que les rassemblements de 250 personnes et plus sont interdits, que les
employés de l’État de retour de voyage doivent s’isoler durant 14 jours
et que le mythique Canadien de Mont réal devra jouer ce soir- là son
match à huis clos au Centre Bell – la Ligue nationale de hockey suspen-
dra finalement sa saison quelques heures plus tard. Je devais assister à
cette partie avec un ami, pour son anniversaire. J’ai encore les billets,
intacts.
Flanqué d’un directeur national de la santé publique encore large-
ment inconnu, le D r
Horacio Arruda, François Legault sonne la fin de la
récréation. Le premier ministre confirme que le virus SRAS-CoV-2 est
entré dans la province. On dénombre alors 13 malades de la COVID-19
et une personne à l’hôpital.
C’est le début de la bataille la plus épique que le Québec ait jamais
livrée.
Peu de choses sont plus complexes à combattre qu’une pandémie. Ce
n’est pas l’affaire d’un gouvernement, mais d’une nation entière. Depuis
la Seconde Guerre mondiale, il y a 80 ans, les peuples de la planète
n’ont jamais affronté un défi aussi imprévisible.
Pour espérer endiguer la contagion, il faut mettre le système de santé
sur le pied de guerre, assurer l’approvisionnement en équipements de
protection individuelle, convaincre la population de changer ses habi-
tudes – aplatir la courbe ! – sacrifier quelques droits et libertés sur l’au-
tel du bien-être collectif et de la protection des plus vulnérables, se
fier à une science en constante évolution, repousser les frontières de
la recherche afin de développer des traitements, voire un vaccin... et,
surtout, prendre des décisions en sachant que des erreurs seront inévi-
tablement commises.
Ceux qui ont combattu des épidémies le savent: ça ne va jamais par-
faitement bien. Dans la tourmente, les succès passent inaperçus et les
défaites laissent des cicatrices.
Pourtant, celle-ci n’était pas totalement inattendue. Les spécialistes
de la santé publique redoutaient un tel virus, très contagieux, imprévi-
sible et relativement mortel, depuis des décennies. Dans l’immense
cahier d’informations que reçoit tout nouveau ministre de la Santé du
Québec à son entrée en poste, il y a une page qui le prévient qu’il
pourrait devoir affronter une pandémie pendant son mandat. Elle
apparaît loin dans le document, mais la note s’y trouve invariablement.
« C’est dans la section “toutes autres tâches connexes” », lance, sourire
en coin, l’ancien sous-ministre de la Santé, Yvan Gendron, qui a passé
la première vague aux commandes du réseau québécois.
Les épidémies ne sont pas des malheurs qui frappent des civilisa-
tions au hasard. « Toutes les sociétés produisent leurs propres vulnéra-
bilités, que ce soit en raison de leur mode de vie ou de leurs priorités
politiques », écrit le professeur d’histoire de la médecine à l’Université
Yale, Frank M. Snowden, dans son livre Epidemics and Society: From
the Black Death to the Present.
Le monde est plus interrelié que jamais, sillonné par des centaines
de millions de personnes chaque année et strié d’interminables chaînes
de production de biens et de services, allant de Guangzhou à Gaspé. La
grande force de l’humanité, l’interconnexion sociale et économique des
pays, est rapidement devenue notre plus importante faiblesse lors de
l’assaut viral.
En quelques jours, le SRAS-CoV-2 est sorti de Chine, son foyer d’ori-
gine. En quelques semaines, il s’était répandu sur la planète. Soudain
lancée dans une course contre la montre, chaque nation est devenue
dépendante des mesures antivirus implantées dans le pays voisin. Et
les régions insouciantes ou lentes à réagir ont été sévèrement punies par
un virus qui ne pardonnait pas.
La planète, malgré les avertissements, était mal préparée à affronter
un diable de cette nature. Les systèmes d’alerte ont fait défaut. L’adapta-
tion a été difficile. Le Québec n’a pas fait exception.
C’est ce que je démontre dans ce livre, en m’appuyant sur une foule
d’entrevues et de documents exclusifs. Pour débattre. Pour ne pas oublier.
Et pour non seulement mettre en lumière des failles, mais aussi éclairer
le travail de ceux qui ont posé des gestes et pris des décisions qui ont
sauvé des vies.
On a décrit la COVID-19 comme la maladie de la solitude, celle qui
nous éloigne les uns des autres – même si la générosité des Québécois a
été au rendez-vous pendant les temps difficiles. Cet ouvrage rassemble
les témoignages de ceux qui ont vécu cette crise de l’intérieur, pour
ne pas qu’ils demeurent seuls avec leur histoire.
Pour ces personnes, le printemps 2020 a été le plus chaotique et le
plus long de leur existence. Les bouleversements survenaient dans une
suite presque ininterrompue, et pourtant, le temps semblait s’écouler
lentement, si lentement! On aurait dit que les événements d’hier s’étaient
produits la semaine passée. Les jours duraient une éternité. C’est ce qui
se produit lorsque les repères s’évanouissent.
« Il faut se donner le temps et l’espace pour exposer ce qui nous a
happés, et y réfléchir », m’a dit la D re Joanne Liu, ancienne présidente
de Médecins Sans Frontières, un organisme qui combat les épidémies
depuis 25 ans partout dans le monde. Je souhaite que ce livre puisse
contribuer à la réflexion.
Le 12 mars, à l’heure du midi, en poussant les grandes portes vitrées
pour quitter les Studios MTL Grandé, dans le sud- ouest de l’île de
Montréal, où notre émission était enregistrée, je me sentais nerveux.
Ce n’est pourtant pas dans mes habitudes.
Mon rédacteur en chef de l’époque au magazine L’actualité, Charles
Grandmont, venait de me texter que l’équipe basculait en télétravail le
soir même, jusqu’à nouvel ordre. La rumeur voulait que les écoles et
les services de garde fermeraient dès le lendemain – mes filles étaient
respectivement âgées de quatre ans et de 14 mois à ce moment-là.
Il faisait froid dehors. Un mercure sous zéro. Le soleil perçait difficile-
ment les nuages. J’étais, comme tout le monde, devant l’inconnu. J’avais
la désagréable impression que cette aventure, individuelle et collective,
ne serait pas comme les autres. Ce sentiment étrange d’être surplombé
par une menace invisible et intangible, ni animale, ni humaine.
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