Malheureusement, Benjamin n'a pas trouvé beaucoup de défenseurs de son vivant en France, ce qui explique sans doute les distorsions idéologiques énormes qui entourent sa pensée et ses écrits. Lors de son exil parisien, qui signale à quel point Benjamin est éloigné des théoriciens nazis, l'intellectuel internationaliste est handicapé par le fait que les revues littéraires les plus en vue refusent catégoriquement de publier le moindre article en français qu'il leur soumet, notamment la NRF édité par Gallimard. Il est éclairant de voir que la NRF a accepté, en revanche, un accord avec l'occupant nazi à Paris, accord qui a conditionné la parution de la revue à l'élimination de tous les membres juifs ou antifascistes de son comité de rédaction en 1940. Réduit au silence par des revues autant mondaines qu'opportunistes, vilipendé par les staliniens menteurs de tous les pays, Benjamin a eu le plus grand mal à faire reconnaître ses idées et positions à Paris de son vivant. Aujourd'hui, il fait l'objet d'une mode qui assure sa visibilité et la diffusion large de ses écrits, mais le fait qu'il ne soit plus là pour les défendre autorise toute sorte d'intellectuels à parler en son nom, à tort et à travers.
Aujourd'hui, la France est une république qui reprend plusieurs traits du modèle bonapartiste. Sa présidence d'abord, omniprésente, plébiscitaire. (...) . Son sénat conservateur, qui n'est pas élu directement, est une institution davantage territoriale que démocratique. Surtout, certains articles constitutionnels permettent de dessaisir le parlement, des lois complémentaires sont autorisées à suspendre légalement les libertés par l'état d'urgence. (...) Bien entendu, Bonaparte est mort, mais son héritage étatique est loin d'être complètement dépassé. Il s'agit ici de comprendre comment le modèle de l'armée bonapartiste préfigure l'administration publique actuelle, le système de la fonction publique et la structuration de l'État.
Le projet habermasien n'est pas de prolonger le programme de la Théorie critique, focalisé sur une conceptualisation de l'émancipation de tous les sujets qui sont asservis, dominés ou méprisés dans le capitalisme global et son monde bureautique. Son projet est autre depuis le départ.