Maman prononce le nom de ce pays avec un long e de l'ère coloniale – keen-ya (/ki nya/), comme si l'empire britannique teintait encore de rose un quart du globe. Quant à moi, je le prononce avec un e bref, postcolonial – « kenya » et elle me corrige répétant « keen-ya ». Mais son insistance à conserver cette prononciation anachronique me conforte dans l'idée qu'elle parle d'un lieu imaginaire emprisonnée à jamais dans le celluloïd d'un autre temps, comme si elle était une tierce personne participant à un film dont les vedettes étaient un cheval parfait, l'incomparable lumière équatoriale et elle-même. La violence et les injustices causées par le colonialisme semblent – dans sa version des événements – avoir lieu dans un autre film que personne n'a vu, et n'avoir touché que des gens invisibles. Ce qu'ils étaient, d'une certaine manière.