Le foot est affaire de gens. Le foot, c'est ce type installé à côté de vous en tribune, le parfait inconnu que l'on ne recroisera sans doute jamais mais dans les bras duquel, transi d'hystérie, on se jette quand le ballon termine au fond des filets adverses. Un supporter n'est pas ce niais bariolé et costumé du matin au soir, il n'est pas non plus cet opportuniste aux humeurs changeantes, tour à tour admirateur à distance de Lyon puis du Paris Saint-Germain selon le sens du vent, des succès et des échecs, conspuant bêtement le joueur en méforme. Il n'est ni truculent, ni beauf, pas davantage "abreuvé de bière et de haine" tel que le chantait Renaud, et la bedaine grasse n'est fournie qu'en option.
Supporter est une chose sérieuse. Seule importe la territorialité. Le supporter n'est pas un spectateur, il ne consomme pas du football, il livre un combat. Dans son oeil se reflète ce qu'il y a de plus humain, de plus authentique, et donc d'immoral. Il s'égosille, manifeste peut-être férocement ses sentiments aux yeux du béotien mais le stade n'est pas l'opéra et n'a jamais eu vocation à être le lieu des bonnes manières, mais celui de la vérité.
Parce que derrière son infernale rationalisation économique et l'idée selon laquelle il serait une industrie, un spectacle télévisé ou un produit marketé, le football demeure bien autre chose : une fête. Un art. Une communion. Un miroir. Un combat. Un phénomène identificatoire. des valeurs. Une "quasi-religion" pour reprendre les mots de Paul Tillich. Malgré les déceptions et les remises en question récurrentes nées de ce dévoiement (commercialisation, mondialisation, financiarisation, tricheries, corruption, etc.), il se joue pour moi comme pour tant d'autres, dans cette réalité parallèle qu'est le stade, un rapport essentiel au père, au monde du travail, à la foi, à la violence, à la beauté et à l'éthique.
"Le foot est un sport simple rendu compliqué par les gens qui n'y connaissent rien" disait l'illustre Bill Shankly.