Ce n’est qu’un corbeau étrange, aux cris sévères ; un corbeau qui continue à tournoyer au-dessus de ma tête, à m’électriser, tandis que je pense aux miens, à mon quartier où la rumeur n’a pas encore grandi.
Je vais bientôt avoir treize ans, mais je me sens aussi nu qu’un ver de terre. Je me dis qu’il faut que je comble le présent rapidement. Cet homme, ce policier supérieur, ressemble de plus en plus à une des images de mon dictionnaire, une divinité mystérieuse dont j’ai oublié le nom ; aux privilèges perpétuels grâce auxquels elle commande sur la terre. Une divinité qui pourrait donner la mort, d’un coup sec, ou simplement en éternuant.
Espérer, c’est parfois remercier la vie. Espérer est préférable à attendre ; attendre et tout rendre commun… Moi, je ne sais pas ce qui me conviendrait le mieux. Espérer ou attendre ?
Évidemment, il y a parmi nous celles qui donnent enfin une vraie grandeur à leur choix : le plaisir et rien que le plaisir, derrière une porte refermée… Celles-là montent à l’assaut et ne cachent pas leur ardeur. Elles se laissent caresser et dévoilent toute leur féminité. Celles-là ont souvent le visage qui ruisselle de beauté. Enfin, il y a celles à qui on reproche un vocabulaire et une démarche sans équivoque.
Je voudrais tant muter et me transformer en libellule pour échapper à cet homme. Mais la même interrogation me taraude l’esprit. Comment faire ? J’ai le cœur et les mains liés. J’aimerais que cet homme cesse de se prendre pour Dieu. Un petit dieu retranché dans une grotte à l’entrée grande ouverte. Un petit dieu à l’humeur changeante, qui rit en m’infligeant tous les maux ; et qui veut que je l’en remercie
Nous sommes trois. Trois personnages principaux : vous, monsieur et moi. Ce garçon nous manque à tous les trois. Mais moi seule l’ai vu. Il a des yeux envoûtants. C’est un joyau, un innocent, incapable de discerner le mal. Et il est d’une bonté utile et non altérée. Toutefois, il a un défaut. Et je sais ce que je dis. Je ne suis pas maboule, je suis consciente et sensée.
Intelligent et instruit comme tu es, tu dois savoir que dans certains pays on coupe encore les mains des voleurs. En Tunisie, on pourrait rétablir cette loi. Ce que je ne souhaite pas. En revanche, avec mon bâton, je pourrais taper sur tes doigts jusqu’à les réduire en bouillie. Tu ne pourras plus écrire.
Protégée par son voile, ma mère paraît insensible à tout, et son hostilité à mon égard perce même sous ses phrases les plus succinctes. Dans ces moments-là, je sais qu’il est préférable d’éviter son regard, chargé de désordre et d’émoi.
À force de privations, ma mère a fini par renoncer à tout, préférant aller disserter avec nos voisines, au lieu de se consacrer à l’une de ses tâches les plus élémentaires : nous préparer à manger.
Sur cette terre, aucune femme ne possède la perfection, ma fille. Si tu veux maintenir la concorde dans cette maison, sois pleine de réserves et, au plus vite, cesse d’exiger d’autres sucreries…