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Citation de Charybde2


Franny ne lui avait jamais reproché ses moments de confusion. Un jour, un groupe de geais querelleurs les avait stoppés dans leur promenade. Deux des oiseaux se tournaient autour, louvoyant et s’esquivant, se becquetant les ailes avant de reculer. Ceux qui les entouraient poussaient ensemble une sorte de violent bruit d’eau. Leurs ailes bleues étaient déployées, comme si quelqu’un avait laissé tomber son écharpe au sol. Ils évoluaient en ligne serrée autour des combattants au centre.
Elle lui avait pris la main : « Tu es au milieu de la route », avait-elle dit.
Il savait qu’avec Franny il s’était trouvé quelqu’un de bien. Après seulement quelques mois de rencards au cinéma, ils avaient annoncé leurs fiançailles. Ils avaient invité le père de David au restaurant et lui avaient appris la nouvelle au moment où les plats arrivaient. Le père de David songea à quel point Franny était grande, à quel point elle était plus grande que son fils. Même avec les deux assis en face de lui à table, il pouvait voir les fines lignes droites de la colonne vertébrale de Franny qui la faisait se dresser plus haut que son pauvre fils de trente ans, avec sa calvitie précoce, qui se battait contre un bout de viande avec le côté de sa fourchette. Franny avait l’air plus forte et plus vieille et plus intelligente que son garçon. Avec son couteau à beurre, et sans rompre le contact visuel avec le père, elle poussa le petit morceau de steak errant sur la fourchette tâtonnante de David. « Quand même, pensa le père de David, épouse une colonne bien droite et elle deviendra le bâton sur lequel t’appuyer. »
Ce sont les patients réguliers de David qui posèrent le plus de questions. Il y avait ses amis d’enfance, Samson et l’autre, celui dont David n’arrivait jamais à se souvenir du nom, même lorsqu’il avait son dossier contenant près d’une vie entière d’historique dentaire ouvert sur les genoux. David était resté en contact avec ses vieux amis qui venaient le voir tous les ans pour leurs bilans. Ils discutaient en général des petites victoires et des défaites ordinaires des équipes de sport locales. Ses assistantes laissèrent fuiter la nouvelle des fiançailles, avant de persuader David de leur montrer une photo de sa future mariée. Après cela, tout le monde voulut en savoir plus sur sa poigne, sur ses talents de cuisinière, et si elle pouvait les aider à porter une table en chêne au troisième étage.
Les questions qu’on lui posa furent directes mais pour l’essentiel polies. Un patient qui travaillait à la faculté d’art de l’université locale lui demanda s’il pourrait utiliser Franny comme modèle pour son cours de dessin vivant, estimant que son anatomie offrirait ainsi une interprétation visuelle simplifiée.
« Elle est massive », dit un oncle du côté de son père qui venait le voir tous les deux ou trois ans pour ses dents et qui avait reçu un email des assistantes avec une image en pièce jointe. « Je ne dis pas ça méchamment », insista-t-il par-dessus les bruits d’aspiration.
David savait que ses patients et sa famille essayaient simplement de résoudre le mystère physique qu’était Franny. Mais la vérité est qu’il s’était toujours considéré comme un homme de taille moyenne, jusqu’à ce qu’il la rencontre et se rende compte à quel point il était petit. Une perspective qu’il appréciait.
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