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Citation de mimo26


Juin 2017

La sonnerie de son téléphone retentit, et il lui faut quelques longues secondes pour parvenir à mettre la main dessus et à l’extirper des profondeurs de son sac à main. C’est essoufflée qu’elle décroche :

— Allô ?

À l’autre bout du fil, une voix légèrement éraillée qu’elle ne reconnaît pas résonne parmi des crachotements désagréables, lui ânonne son prénom et son nom, et lui demande si c’est bien d’elle qu’il s’agit. Elle confirme, déjà soupçonneuse puisque habituée aux appels intempestifs d’instituts de sondage ou d’opérateurs téléphoniques. Son interlocuteur semble alors se radoucir, sans doute rassuré de savoir qu’il ne perd pas son temps avec la mauvaise personne.

— Bonjour, madame, je suis le lieutenant Berthelot. Je suis désolé de vous déranger, mais nous aurions besoin que vous veniez au commissariat, rue des Longs-Champs.

Elle s’immobilise, son cœur bondit déjà à une allure folle dans sa cage thoracique. Mécaniquement, elle coupe l’autoradio qui fonctionnait encore à faible volume, referme doucement sa portière pour être au calme.

— Comment ça ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? bégaye-t-elle à la vitesse de l’éclair, son cerveau essayant de ne pas paniquer face aux paroles sibyllines de son interlocuteur.

Quelques secondes de silence de l’autre côté, trop longues pour ne pas laisser présager le pire. Et puis la voix reprend, imperturbable.

— Je préférerais que vous me rejoigniez, madame. Nous aurons tout le temps de parler lorsque vous serez là…

Soudain, elle s’agrippe au volant comme s’il s’agissait d’une bouée de sauvetage.

— Il est arrivé quelque chose à mon mari, c’est ça ? Il a eu un accident ?

— Je ne peux rien vous dire au téléphone, madame, j’en suis désolé. Est-ce que vous êtes loin du commissariat ? Préféreriez-vous que je vienne à votre domicile ?

Désemparée, elle laisse échapper un hoquet de terreur. S’il refuse de lui confier quoi que ce soit au téléphone, c’est forcément que quelque chose de grave s’est produit. S’il ne s’agit pas de son mari, c’est que cela concerne l’un de ses enfants. L’angoisse monte en flèche jusqu’à former un nœud dans sa gorge, un nœud qui enfle et lui comprime les voies respiratoires.

— C’est un de mes enfants, c’est ça ? Dites-le-moi, dites-moi ce qui est arrivé !

— Madame, je vous en prie, essayez de garder votre sang-froid… Ça n’apportera rien de bon si vous vous mettez dans tous vos états. Je peux passer chez vous, si vous le souhaitez…

Elle inspire profondément, ferme les yeux pour tenter de s’apaiser.

— Je vous rejoins au commissariat, j’en ai pour une dizaine de minutes.

Sans attendre l’approbation de son interlocuteur, elle raccroche. S’empresse de mettre le contact en tremblant, démarre en trombe.

Et prend brutalement conscience que sa vie est sans aucun doute sur le point de voler en éclats.

De façon irréversible.


........

1.
Septembre 2016
Famille Kessler

Laetitia Kessler inspecte du regard le vaste palier et laisse échapper un profond soupir. Déjà trois semaines que toute la famille a quitté Toulouse pour venir s’installer dans la petite ville de son enfance, et il reste encore une multitude de cartons pleins un peu partout dans la maison, qui n’attendent qu’une chose : être déballés pour que la demeure ressemble enfin à un foyer. Les chambres des enfants sont dans un état lamentable, même si elles commencent doucement à prendre l’identité de leur occupant. Marjorie, l’aînée de la fratrie, s’est empressée de recouvrir les murs de la sienne de posters aux messages engagés, aux slogans allant de « Réfléchir, c’est commencer à désobéir » à « Make music, not war », en passant par un très philosophique « Un bon prof est un prof absent ». Tout un programme pour l’adolescente de dix-sept ans en rébellion permanente depuis son entrée au lycée…

Orlane, d’un tempérament plus posé, s’est contentée de disposer avec grand soin son précieux matériel de magie dans les cases de sa bibliothèque. À treize ans, elle n’a pas encore défiguré les murs de sa chambre, mais seulement épinglé quelques photos au-dessus de son bureau, dont, évidemment, celle prise peu de temps avant la rentrée scolaire, aux auditions de La France a un incroyable talent. On y voit la jeune fille parfaitement maquillée – un peu trop au goût de sa mère, qui aurait préféré que l’équipe de télévision laisse sa fille au naturel –, en compagnie du présentateur de l’émission, juste devant l’énorme logo argenté. Ses cheveux blond cendré sont impeccablement coiffés en un carré long, son sourire est timide mais ses yeux brillent d’excitation. Dommage que ça n’ait pas été plus loin, songe Laetitia avec un pincement au cœur en revoyant la déception de sa fille après son élimination par le jury.

Dans la chambre d’Ezio, le dernier de la fratrie, on dirait qu’un ouragan est passé. Voire repassé, pour s’assurer que pas un centimètre carré n’a été épargné. Il n’y a certes plus aucun carton dans la pièce, mais, partout, des monticules de jouets. Il suffit d’un coup d’œil sur les Lego, les figurines de super-héros, les billes et les petites voitures en métal pour comprendre instantanément qu’il serait sacrément hasardeux de tenter d’y mettre un pied.

Laetitia ne peut s’empêcher de se faire la réflexion qu’en un sens, rien ne change. Ici ou ailleurs, les chambres des enfants sont identiques : les posters agressifs, les valises de magie, les jouets éparpillés. Loin d’elle l’intention d’être défaitiste, mais à présent que le déménagement est derrière eux, la question de savoir si ce sera suffisant se pose, s’impose.

C’est Yanis qui a eu cette idée un peu folle de bouleverser leur vie à tous, il y a six mois de ça. Un soir où Laetitia était rentrée comme d’habitude éreintée de sa journée à l’hôpital, il l’avait accueillie avec un sourire de gamin malicieux aux lèvres, et elle avait senti sa fébrilité, son impatience. Avec empressement, il l’avait fait s’asseoir sur le canapé du salon, avait attendu quelques secondes sans rien dire. Laetitia s’était demandé s’il ménageait son effet ou s’il se mettait simplement en condition pour lui annoncer une grande nouvelle. Un peu les deux, sans doute, puisqu’il avait fini par lâcher, le souffle court :

— Et si on partait d’ici ?

Elle avait froncé les sourcils, perplexe.

— Comment ça ?

— Et si on déménageait, et si on partait vivre ailleurs ? avait-il répondu du tac au tac, presque agacé qu’elle ne percute pas tout de suite, qu’elle ne se mette pas à sauter de joie sur-le-champ.

— Ailleurs ? avait-elle répété doucement, sans chercher à effacer son air décontenancé.

— Chez toi. On pourrait s’installer dans la ville où tu as grandi, près de tes parents, de ta sœur.

Elle s’était figée, est-ce qu’il pouvait s’agir d’une blague de mauvais goût ? Ça faisait si longtemps qu’elle rêvait de se rapprocher de sa famille… Alors Yanis s’était assis à côté d’elle, avait posé la main sur son genou, et avait répété, presque en murmurant : « Chez toi. » Et ces deux mots lui avaient soudain paru si doux qu’elle en avait eu la gorge serrée.

Yanis lui avait ensuite exposé son idée, il avait pensé à tout, absolument tout. Il avait trouvé un poste dans la société de transports en commun de l’agglomération voisine, un poste qu’il avait de très bonnes chances de décrocher s’il postulait rapidement. Laetitia pourrait enfin quitter l’hôpital où elle trimait depuis plus de quinze ans, et s’installer en infirmière libérale. Avoir des horaires plus flexibles, des journées de travail moins éreintantes. Avoir plus de temps, plus de liberté. Il suffisait de vendre l’appartement de Toulouse, de trouver une maison non loin de là où elle avait passé son enfance. Il suffisait. Dans le regard de son mari, tout semblait si simple, si réfléchi, que Laetitia s’était laissé emporter par son enthousiasme. Elle avait seulement demandé : « Et les enfants ? » Mais Yanis avait balayé le doute d’une simple phrase : « Ils s’habitueront, va ! »

Changer d’air était subitement devenu de l’ordre du possible, il ne s’agissait plus d’un pauvre rêve enfoui de force, auquel on s’efforçait de ne jamais trop penser. Changer de lieu, de travail, de vie devenait soudain quelque chose de tout à fait réaliste.

De son côté, Yanis sentait bien, depuis plusieurs mois, que sa femme se refermait sur elle-même, que son couple commençait à s’étioler un peu trop pour que seules les années puissent en être l’explication. Laetitia s’essoufflait, s’ennuyait, suffoquait, sa morosité en venait presque à vicier l’air familial ; il fallait à tout prix trouver une solution avant qu’il ne soit trop tard. Bien sûr, lui n’avait aucune envie de quitter la Ville rose, où il avait toujours vécu, la ville où, bien des années auparavant, Laetitia s’était empressée de le rejoindre, ravie de partir à l’aventure et de s’installer aux côtés de l’homme de sa vie. Mais il était conscient que le temps était venu de faire des compromis, c’était au tour de Laetitia de passer en premier. Ce soir-là, quand il l’avait observée du coin de l’œil, occupée à se brosser les dents au lavabo de la salle de bains, elle lui avait paru plus déterminée, plus affirmée, quelque chose dans sa façon de se tenir plus droite, de se contempler dans le miroir avec aplomb. Et il avait été convaincu d’avoir fait le bon choix. Il allait sauver leur couple, leur famille – oui, rien que ça –, juste parce qu’il en avait la volonté.

Il était sorti de la pièce en sifflotant, et Laetitia avait consciencieusement appliqué sa crème antirides autour des yeux. Avait insisté sur les pattes-d’oie naissantes, comme si elle conservait l’espoir de les faire disparaître instantanément. La tête encore pleine d’interrogations, elle avait pensé à Marjorie, qui allait certainement tempêter et vociférer qu’il était hors de question qu’elle quitte toutes ses copines de lycée. À Ezio, qui bouderait sans doute un moment lorsqu’il comprendrait toutes les implications du déménagement à venir ; el
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