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Citation de michelekastner


En apparence, le mode arabe venait de remporter une victoire éclatante. Si l'Occident cherchait, par ses invasions successives, à contenir la poussée de l'islam, le résultat fut exactement inverse. Non seulement les Etats francs d'Orient se trouvaient déracinés, après deux siècles de colonisation, mais les musulmans s'étaient si bien repris qu'ils allaient repartir, sous le drapeau des turcs ottomans, à la conquête de l'Europe même. En 1453, Constantinople tombait entre leurs mains. En 1529, leurs cavaliers campaient sous les murs de Venise.
Ce n'est, disions-nous, que l'apparence. Car, avec le recul historique, une constatation s'impose : à l'époque des croisades, le monde arabe, de l'Espagne à l'Irak, est encore intellectuellement et matériellement le dépositaire de la civilisation la plus avancée de la planète. Après, le centre du monde se déplace résolument vers l'Ouest. Y a-t-il là relation de cause à effet ? Peut-on aller jusqu'à affirmer que les croisades ont donné le signal de l'essor de l'Europe occidentale - qui allait progressivement dominer le monde - et sonné le glas de la civilisation arabe ?

Sans être faux, un tel jugement doit être nuancé. Les Arabes souffraient, dès avant les croisades, de certaines "infirmités" que la présence franque a mises en lumière et peut-être aggravées, mais qu'elle n'a pas créées de toutes pièces.
Le peuple du Prophète avait perdu, dès le IXe siècle, le contrôle de sa destinée. Ses dirigeants étaient pratiquement tous des étrangers. De cette multitude de personnages que nous avons vus défiler au cours de deux siècles d'occupation franque, lesquels étaient arabes ? Les chroniqueurs, les cadis, quelques roitelets locaux - Ibn Ammar, Ibn Mouqidh - et les impuissants califes ? Mais les détenteurs réels du pouvoir, et même les principaux héros de la lutte contre les Franj - Zinki, Noureddin, Qoutouz, Baibars, Qalaoun - étaient turcs : al-Afdal, lui, était arménien ; Chirkouh, Saladin, al-Adel, al-Kamel étaient kurdes. (...)
Alors que pour l'Europe occidentale l'époque des croisades était l'amorce d'une véritable révolution, à la fois économique et culturelle, en Orient, ces guerres saintes allaient déboucher sur de longs siècles de décadence et d'obscurantisme. Assailli de toutes parts, le monde musulman se recroqueville sur lui-même. Il est devenu frileux, défensif, intolérant, stérile, autant d'attitudes qui s'aggravent à mesure que se poursuit l'évolution planétaire, par rapport à laquelle il se sent marginalisé. (...)
A la fois fasciné et effrayé par ces Franj qu'il a connus barbares, qu'il a vaincus mais qui, depuis, ont réussi à dominer la Terre, le monde arabe ne peut se résoudre à considérer les croisades comme un simple épisode d'un passé révolu. On est souvent surpris de découvrir à quel point l'attitude des Arabes, et des musulmans en général, à l'égard de l'Occident, reste influencée, aujourd'hui encore, par des événements qui sont censés avoir trouvé leur terme il y a sept siècles.
Or, à la veille du troisième millénaire, les responsables politiques et religieux du monde arabe se réfèrent constamment à Saladin, à la chute de Jérusalem et à sa reprise. Israël est assimilé, dans l'acceptation populaire comme dans certains discours officiels, à un nouvel Etat croisé. Des trois divisions de l'Armée de libération palestinienne, l'une porte encore le nom de Hittin et une autre celui d'Ain Jalout. Le président Nasser, du temps de sa gloire, était régulièrement comparé à Saladin qui, comme lui, avait réuni la Syrie et l'Egypte - et même le Yemen ! Quant à l'expédition de Suez de 1956, elle fut perçue, à l'égale de celle de 1191, comme une croisade menée par les Français et les Anglais. (...)
Dans un monde musulman perpétuellement agressé, on ne peut empêcher l'émergence d'un sentiment de persécution, qui prend, chez certains fanatiques, la fomre d'une dangereuse obsession : n'a-t-on pas vu, le 13 ami 1981, le Turc Mehemet Ali Agca tirer sur le pape après avoir expliqué dans une lettre : J'ai décidé de tuer Jean-Paul II, commandant suprême des croisés. Au-delà de cet acte individuel, il est clair que l'Orient arabe voit toujours dans l'Occident un ennemi naturel. Contre lui, tout acte hostile, qu'il soit politique, militaire ou pétrolier, n'est que revanche légitime. Et l'on ne peut douter que la cassure entre ces deux mondes date des croisades, ressenties par les Arabes, aujourd'hui encore, comme un viol.
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