Pour participer à l'illusion fictionnelle, pour créer du make believe, il faut laisser cours à note bonne volonté, il faut activer la part de nous-même qui accepte d'y croire. Or cette libération, ou cette activation volontaire, dans le contexte de l'image mouvante du cinéma, serait favorisée par une relative lenteur de défilement des images. Ou, si l'on interprète cette lenteur d'un point de vue technologique, par une basse performance du dispositif de défilement, par ses carences relatives. Puisqu'un nombre d'images par seconde moins élevé solliciterait mieux, selon certains, (dixit Paul King), la participation imaginaire, le défilement rapide de la haute définition serait paradoxalement moins efficace, non pas en termes de réalisme, mais en termes de qualité de l'investissement imaginaire.
D'une façon parfois sournoise, le monde numérique incite l'usager à cette accumulation d'objets, de médias, de technologies, de services jusqu'à saturation. Conséquence de cette addiction/addition : on passe aisément d'une activité que l'on mène à une forme de réactivité qui nous mène.
C'est le principe même de la photographie : la lumière a déposé sa trace à travers l'objectif, celle-ci est conservée et restituée. Avec l'encodage numérique, on perd cette empreinte essentielle, cette contiguïté forte avec le réel capté. En quelque sorte, il ne s'agit plus de saisir et de restituer une tranche du réel profilmique mais bien de le saisir et de le reconstruire dans un même mouvement par l'entremise d'un encodage des données que l'appareil recueille. Sous le règne numérique, enregistrer le réel, c'est déjà, et simultanément, le reconstruire.
Ainsi, avant d'élire domicile dans les nouvelles salles qui lui seraient consacrées, le cinéma avait au fond toujours été sans domicile fixe : il errait, çà et là, dans divers sites qui ne lui étaient pas spécifiques, qui n'étaient pas siens (music-halls, salles communautaires, tentes de forains, cafés, théâtres etc.).
Rupture ou révolution, la mutation numérique se doit d'être appréhendée en considérant le média qu'elle affecte non pas comme un tout indifférencié mais comme une interaction des dimensions complexes qui en tissent la trame identitaire.
La technique numérique offre la possibilité d'une maîtrise quasi absolue de l'image, ce qui facilite le travail créatif de façon inédite.
Le contrat implicite est clair, si l'on peut dire : le cinéma doit dorénavant négocier et trouver sa place par rapport à ces nouvelles déclinaisons de l'image en mouvement.
La salle demeure le sanctuaire de l'art cinématographique.